Karabakh : La diplomatie souterraine de la Turquie

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Quand la Turquie ne peut pas passer par en haut, elle tente le faire par en bas, ou vis et versa.

Bien que très montagneuse, la région de Kelbadjar est une zone stratégique, alors qu'Aghdam était avant tout un gros chef-lieu, ce qui n'empêchait pas les Azéris de bombarder le Haut-Karabakh par l'Est à partir de là, tout comme Chouchi bombardait Stépanaguerd par le Sud. De plus, Kelbadjar est symbolique pour Ankara, puisque c'est sa prise par les Arméniens le 3 Avril 1993 qui a déclenché la fermeture de la frontière avec l'Arménie.

Comme il est indiqué dans l'article, ce n'est pas en ‘restituant' X districts que les frontières vont obligatoirement s'ouvrir et que la région va se pacifier.

L'important c'est de savoir où l'on veut aller, avant de chercher à savoir comment on peut y aller. Or, on sait très bien où Aliev veut ‘aller' et où il ne veut pas. Il veut que les Arméniens se retirent des sept districts entourant le Haut-Karabakh et que le Haut-Karabakh retourne sous administration azérie. Que cela se fasse en une, deux, trois ou N étapes, bien qu'important, reste secondaire.

Quant à l'Arménie, l'important reste toujours le statut final du Haut-Karabakh, en clair son indépendance, et ce dans un contexte sécurisé.

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La Turquie, après la suspension du processus de ratification des protocoles par l'Arménie, a promis de mener une diplomatie ‘silencieuse', et de temps à autre, faire du ‘bruit' autour. Ainsi, la semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmed Davutoglu, a publié une déclaration ambitieuse sur la révolution psychologique que la Turquie est en train d'effectuer dans la région. Il a déclaré que la région doit être modifiée afin de permettre à une voiture de Kars de passer par Erevan, Kelbadjar et d'arriver à Bakou. Aujourd'hui, le quotidien Hurriyet, citant ses sources, écrit que le Premier ministre turc se rend à Bakou et va essayer de ‘convaincre' l'Azerbaïdjan d'accepter que l'Arménie ne restitue que 2 districts dans un premier temps, au lieu de cinq demandés initialement. En outre, si auparavant, ils pensaient à Aghdam et à Fizuli, maintenant, ils ciblent Kelbadjar/Latchine et Fizuli.
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Pourquoi les Turcs proposent-ils plutôt Kelbadjar aux Arméniens, plutôt qu'Aghdam ? Car Kelbadjar et Latchine permettent au Karabakh d'être relié plus fermement à l'Arménie, de même que Fizuli, à l'Iran. En ‘retirant' ces deux zones de la carte de l'Arménie, la Turquie verrouille et isole le Karabakh. En outre, toujours selon la carte, si les Turcs ont besoin de se rendre de Kars à Bakou par la route, il leur suffit d'ouvrir un poste sur leur frontière et un autre à la frontière de l'Azerbaïdjan avec l'Arménie. Et il ne sera nul besoin de passer par le Karabakh ou par Kelbadjar.

Evidemment, tout ce montage médiatique lié à deux, trois ou cinq districts ne poursuit que deux objectifs : 1- convaincre les Arméniens de l'inévitabilité de concessions territoriales, 2- réussir à obtenir quelque chose pour l'Azerbaïdjan. Il y a deux solutions pour faciliter les communications régionales – ouvrir les deux frontières, turco-arménienne fermée par la Turquie, et arméno-azerbaïdjanaise fermée par les Azéris. Ce qui valable pour la route, l'est aussi pour les chemins de fer ainsi que pour les gazoducs ou les oléoducs. Donc, si une révolution psychologique doit se faire, c'est à Bakou et à Ankara qu'elle doit avoir lieu en premier.

Extraits de Lragir.am