La fin de l'ère Atatürk

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Effectivement il est peu courant que les quatre plus hautes têtes militaires sautent en même temps. Mais si le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan veut mener à bien la ligne politique que se sont fixés lui et son parti, il lui faut élimer les gêneurs et les empêcheurs de tourner en rond.
La Turquie n'a pas d'ennemis extérieurs à proprement parlé, et ce n'est pas la modeste Arménie qui va l'attaquer pour reprendre possession des territoires qu'elle a confisqué et annexé, puis officialisé par des Traités.
Même s'il est modéré, l'AKP d'Erdogan est avant tout un parti religieux et en tant que telle la cohabitation dans un Etat laïc n'est pas chose aisée. Avec Ergenekon, déjà un certain nombre de militaires retraités et de Haut-fonctionnaires avaient été ‘éliminés' de la sphère publique et ne restaient dans l'Etat-profond que quelques militaires d'actif. Le coup de balai du 29 Juillet, a eu raison d'eux.
Reste le problème Kurde. 15 millions de personnes ce n'est pas rien, vu qu'elles représentent 20% de la population. D'autant qu'il n'est plus question de les déporter ou de les massacrer comme pour les Arméniens ; cela ferait désordre face à la communauté internationale et ‘adieu' tous les liens avec les Occidentaux. Aussi, la politique d'Ankara consiste à les ignorer en tant que minorité et les considère certes comme des Turcs, mais de seconde zone, en les confinant au fin fond de l'Anatolie.
Les ennemis de la Turquie sont ses propres démons, son intolérance vis-à-vis des minorités de tout bord et surtout croire que le nationalisme exacerbé est la clé de tous maux. La fanfaronnade a des limites surtout quand on occupe depuis 37 un pays voisin et que l'on porte la tache infamante de pays génocidaire.
* Brève énergétique *

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Le ministre géorgien de l'Énergie Aleksandr Khetaguri a déclaré que la Géorgie va probablement vendre à des investisseurs étrangers une participation minoritaire (25%) de la section géorgienne du pipeline fournissant du gaz naturel russe à l'Arménie. Les actions seront mises sur les marchée bousiers de New York, Londres et Varsovie ; rapporte l'agence Bizzone.info.
Le parlement géorgien avait décidé l'an dernier la vente partielle du pipeline Nord-Sud, quand il a retiré ce consortium de la liste des actifs stratégiques de l'État non- privatisables.
La décision a soulevé des craintes à Erevan que la compagnie pétrolière d'Etat azerbaïdjanais (SOCAR) qui gère le réseau domestique géorgien de distribution de gaz, acquière ce pipeline et décide de bloquer les livraisons de gaz, vitales pour l'Arménie. Certains hauts responsables azéris ont exprimé un intérêt dans un tel rachat.
"Le gouvernement géorgien ne compte pas vendre de participation majoritaire dans le pipeline. Il y a des installations stratégiques qui continueront à être gérés par le gouvernement," avait déclaré le Premier ministre, Nika Gilauri, à Erevan en Février dernier.
Les autorités arméniennes ont elles aussi exprimées leur confiance aux autorités de Tbilissi, persuadées qu'elles conserveront le contrôle du principal gazoduc qui approvisionne actuellement que l'Arménie.
Malgré l'importation de gaz iranien depuis Mai 2009, l'Arménie reste fortement dépendante du gaz russe. En outre, plus de 80% de son réseau de distribution de gaz est détenu par le conglomérat russe Gazprom.

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Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a finalement mis un terme à la Turquie de Kemal Atatürk. Pour la première fois dans l'histoire de la République de Turquie, les Chefs des trois armées, terre air et mer, ont démissionné avant-terme. C'est un phénomène sans précédent, mais il s'intègre bien dans le plan adopté par le Parti Justice et Développement (AKP) qui consiste à transformer l'Etat turc, de laïque à islamique modéré. L'AKP peut maintenant savourer sa victoire sur les militaires.
D'autre part Erdogan peut ainsi rappeler l'histoire récente de son pays, dirigé cinq fois par des militaires suite à des coups d'Etat. La Turquie n'avait pas eu de président 100% civil avant d'Abdullah Gül. Les politiques, intérieure et étrangère, de la Turquie étaient décidées par l'Etat-major militaire (l'Etat profond), et cela semblait être une situation pérenne.
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Le Chef d'Etat-major, Isik Kosaner, est poussé à démissionner le 29 Juillet dernier, après une rencontre en tête-à-tête avec le Premier ministre. Erdogan a voulu mettre Kosaner en retraite anticipée, en réponse, Kosaner a démissionné après 37 ans de bons et loyaux services, suivi par les trois démissions des commandants en Chef des Armées de terre, de mer et l'air. En fait, le plan "Bayloz" et Ergenekon ont fait leur travail. Maintenant il est trop tard pour savoir s'il y avait effectivement ou pas un plan pour un nouveau coup d'Etat militaire. Très probablement qu'il y avait ‘anguille sous roche', mais M. Erdogan, connaissant l'expérience amère de ses prédécesseurs, a préféré jouer la sécurité.
Le 4 août, lors de la réunion du Conseil militaire suprême de la Turquie, le Général de gendarmerie, Necdet Ozel, a été nommé Chef d'Etat-major des Armées,
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le Général Hayri Kivrikoglu, commandant en Chef des forces terrestres, l'amiral Emin Bilgel, celui de la marine, pour l'Armée de l'air le Général Mehmet Erten, tandis que le Général Bekir Kalyoncu a pris le poste laissé vacant à la tête de la gendarmerie. En outre, la démission de 14 généraux emprisonnés était attendue, mais aux dernières nouvelles, la décision a été reportée d'un an, afin de renforcer la position du nouveau chef d'Etat-major. Comme indiqué par les médias, c'est la première fois que tous les commandants en Chef sont des diplômés des académies militaires turques. Auparavant, ces postes étaient occupés par des diplômés [Turcs] d'écoles militaires américaines et européennes.
Au palmarès d'Isik Kosaner, on lit que sa brigade faisait partie des troupes turques qui ont occupé le Nord de Chypre et ont expulsé les 165.000 Grecs qui y résidaient.
Selon un expert de l'Université Marmara d'Istanbul, Behlul Ozkan, pour la première fois dans l'histoire turque de hauts commandants militaires ont décidé de démissionner plutôt que prendre le pouvoir et destituer le gouvernement élu. Curieusement, certains experts occidentaux évaluent ces changements comme "une victoire pour la démocratie et la société civile", alors qu'il n'y a rien de tel ! On notera que, pour diverses raisons, l'Occident considère tout changement dans nombre de pays comme une victoire de la démocratie, même quand cela n'a rien à voir. Il n'est pas nécessaire de chercher des exemples bien loin : ainsi les récents événements dans le monde arabe qui ont abouti à un régime militaire, notamment en Égypte, et qui sans raison sont présentés au monde comme une victoire démocratique. Désormais, l'Occident essaie de faire la même chose pour la Turquie, en ne tenant pas compte du système politique ni de la mentalité orientale.
Une attitude similaire a également prise par des journaux turcs d'opposition, notamment Taraf qui considère ce chamboulement dans l'Etat-major comme une étape importante sur le long chemin de la Turquie vers la démocratie. Selon le quotidien Zaman, le nouveau Chef d'Etat-major, Necdet Ozel, est "un militaire avec une forte légitimité démocratique."
Milliyet, quant à lui, se référant à l'expert Asli Aydintasbas, écrit que les démissions marquent la fin d'une époque, dans laquelle l'Armée était la gardienne de la laïcité, établie par Mustafa Kemal - Atatürk. Ainsi, la première République turque se terminerait pour laisser la place à la seconde. Cependant, compte tenue de l'histoire de la Turquie, il est difficile de croire que l'Armée se taira à jamais.
La société turque s'éloigne de la laïcité, en devenant une république islamique à parti unique. Mais l'armée ne sera pas en mesure de la sortir de cet enlisement, si cela devait arriver. Ceux qui qualifient les derniers développements comme un triomphe de la société civile, risquent forts de déchanter, car dans les faits, la Turquie se dirige non vers la démocratie, mais vers l'islamisme.
Karine Ter-SahakianPanArmenian.net