Relations UE-Turquie and Co


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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Les faits contredisent parfois les désirs, et dans le cas des négociations d’adhésion entre l’UE et la Turquie, ‘parfois’ est à remplacer par ‘souvent’.

Ce malentendu a commencé avant même que les négociations d’adhésions s’ouvrent officiellement en Octobre 2005. A l’été 2005 la Grande-Bretagne avait obtenu un Traité permettant à la Turquie d’étendre l’accord d’union douanière aux dix nouveaux membres de l’UE, rentrés un an auparavant. Le jour même, Ankara refusait d’appliquer l’accord qu’il venait de signer, à Chypre, pays dont il occupe 37% du territoire depuis 1974. Les pays turcophiles membre de l’UE, tels la Grande-Bretagne, l’Espagne, les pays nordiques en général, espéraient que ce faisant, Ankara changerait d’attitude, que le problème chypriote trouverait une solution. C’était mal connaître la Turquie, héritière de l’empire ottoman et de toutes ses exactions envers les minorités et les peuples dominés.

La politique de l’autruche menée par les technocrates de Bruxelles n’a pas donné les résultats escomptés, les valeurs européennes ont un mal fou à pénétrer les différentes couches de la société, qu’elles soient civile, militaire ou administrative. Les centaines de millions dépensés pour former tel ou tel catégorie, n’ont pas servi à grand-chose. Ce n’est pas parce que 10% de la population adhère peu ou prou aux coutumes européennes et que 4% du territoire se trouve en Europe, que la Turquie est européenne. On ne se défait si facilement d’habitudes séculaires.

Alors que l’on constate dans ce pays, une dégradation des libertés, des droits de l’homme et une persistance à générer des problèmes avec ses voisins, les Commissaires européens à l’élargissement, que ce soit Ollie Rehn ou son actuel successeur Stefan Füler, ont poursuivi et poursuivent leur mission comme si de rien était. Toutefois, ils ont des circonstances atténuantes :
1-   Ce sont des technocrates, c'est-à-dire non élus par le peuple.
2-   Le Parlement européen leur facilite la tâche en minimisant au maximum dans son rapport annuel les dysfonctionnements constatés.
3-   Et s’entourer de turcophiles tel que les Verts, allemands ou français, ne risque de leur ouvrir les yeux.

Plutôt que de vouloir discuter sur des chapitres bloqués,  il serait peut-être plus judicieux de voir avec les dirigeants turcs comment mettre en œuvre les recommandations pour que le blocage soit levé. Si bien sur, les recommandations n’écorchent leur honneur ou leur fierté.



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"Je ne doute pas qu’Ankara saisira la main tendue de Bruxelles"

Vendre la politique d'élargissement de l'UE aux européens - qui voient avec crainte la situation d’une Grèce en faillite, d’un Portugal qui est au bord d'une crise financière, et bientôt l'Espagne, l'Italie voire même la France - est aussi attrayant que vendre des crèmes glacées par temps de gel. Laisser la promotion de la politique d'élargissement, le commissaire à l'Elargissement, Stefan Füle, semble avoir retenu des leçons du passé et est déterminé à faire de cette politique de l'UE l'une des plus pertinentes et des plus réussies.

Pour ne pas répéter les mêmes erreurs, il souhaite faire des chapitres des Droits fondamentaux et de la Justice (respectivement chapitre 23 et 24), le premier à être ouvert et le dernier à être fermé. Parlant de la Turquie, il suffit de jeter un œil sur la détérioration de la situation de la liberté d'expression, sur les arrestations massives ou sur les abus de détentions provisoires pour comprendre que sa proposition est la bonne. Parce que personne n’ignore que ces deux chapitres sont parmi les 18 bloqués ou mis en veto, et parce que la Turquie est en train de débattre d'une nouvelle constitution, le commissaire est dans une position assez inconfortable, il doit jongler en permanence afin que les incohérences de l'UE dans sa politique envers la Turquie ne deviennent pas monnaie courante. Avant de venir à la question de savoir pourquoi malgré cela Ankara ne doit pas rejeter la main tendue de Füle, laissez-moi vous présenter l'état actuel des relations entre la Turquie et l'UE.

Les négociations sont pratiquement bloquées sur les 18 chapitres mis en veto et bloqué par la France et Chypre. Le récent déplacement du président Nicolas Sarkozy indique qu'il est déterminé à utiliser la carte anti-Turquie, comme un message aux électeurs de droite, en vue de l'élection présidentielle française du 9 mai 2012. Considérant que ceux qui n'étaient pas chauds pour l'adhésion de la Turquie en France ne se limitent pas à l'extrême droite, il ne faut pas s’attendre à une démarche constructive de sa part jusqu'à la fin des élections. Dans le même temps, une campagne électorale signifie de nouvelles idées politiques et ouvre une période passionnante de changements potentiels en France. La Turquie doit saisir ce genre d'évolution positive dans le processus de négociation.

Füle semble déterminé à impulser un nouvel élan au vue des appuis qu'il reçoit de certains États membres. Pour la première fois, il a déclaré qu'il a décidé de poursuivre les négociations malgré les chapitres bloqués ou mis en veto. Son espoir est qu'il trouvera une Turquie prête pour une adhésion complète ayant surmonté des questions telles que Chypre, et qu'il compte accélérer le processus.

En vertu des accords et des Traités, la Commission européenne est responsable du respect des intérêts communs de l'UE et de la protection des Traités. Avec sa structure actuelle, l'UE a été instrumentalisée par quelques-uns. Malheureusement, il est impossible de parler d'une volonté commune. Pour les lecteurs qui pensent que la dernière initiative de Commission européenne envers la Turquie relève seulement de son devoir plutôt que d'un geste audacieux, je leur recommande de regarder de plus près la fragilité de la structure institutionnelle de l'UE. Füle est l'un des 27 commissaires, et par conséquent, il a besoin du soutien de son institution - où un représentant de chaque commissaire siège – sur une question qui n'a pas le soutien de certains États membres. En général, les commissaires ne soutiennent pas les projets de loi qui ne passeront pas par le Conseil. Pour cette raison, la nouvelle politique Füle représente une route pleine d’embuches. Malgré cela, c’est une initiative susceptible de réussir.

En effet, si les négociations d'adhésion UE-Turquie sont considérées par Chypre comme un levier d'influence vers une solution, nous observons la fin de l'effet négatif d'une stratégie de blocage puisque le processus est maintenant dans l'impasse. Il n'y a donc pas de solution et pas plus de poids au moment même où l'UE traverse une crise et quand les révolutions sont en cours dans les pays arabes avec une transition vers des processus démocratiques. Les capitales européennes ont remarqué les changements et passent en revue leurs stratégies sur la scène internationale. L’approbation de la Commission européenne sur l'approche ouverte et constructive de Füle doit également d'être interprétée comme une conséquence de la situation actuelle. Loin d'être isolée, la démarche positive de Füle envers la Turquie est au contraire encouragée par les événements.

Grâce à un travail sérieux, la Turquie peut obtenir le label "A refermer" pour tous les chapitres bloqués ou sous véto. En d'autres termes, le Conseil des ministres peut également fermer tous les chapitres en un jour. Si elle prend le processus de l'UE sur les critères d'Ankara au sérieux, la Turquie devrait saisir la main tendue de Füle. Un tel processus permettrait de produire une nouvelle dynamique, non seulement pour les relations, mais aussi pour les obstacles devant la Turquie, comme la question chypriote. Ceux qui essaient d'instrumentaliser l'UE ou l’utiliser comme levier devraient revenir à des occupations politiques constructives après s'être rendu compte que les intérêts communs ne seront pas toujours en phase avec les leurs.

La Commission européenne semble déterminée à poursuivre une politique similaire sur la question des visas. Bien que limitée par le mandat du Conseil, la Commission a décidé de faire pleinement usage de ses marges de manœuvre pour répondre aux sentiments légitimes de la victimisation des milliers de personnes qui ont été humiliés par l'obligation du visa. Un régime de visa de longue durée avec des entrées multiples est de toute façon une nécessité pour l'UE si elle ne veut pas que la mise en œuvre de Schengen l'isole du monde entier. C'est une contradiction que les personnes aient un visa dans leurs déplacements entre l'UE et la Turquie, alors que les biens et les marchandises circulent librement. Certaines personnes et Ankara peuvent trouver la main tendue de Füle insuffisante, mais s’ils veulent maintenir le processus de l'UE vivant et ne pas donner une chance à ceux qui aimeraient voir la Turquie abandonner, la Turquie a besoin de saisir la main tendue de Bruxelles. Que ce soit une stratégie plus axée sur les résultats que les messages difficiles, je peux le comprendre, mais son style et son ton ne sont certainement pas appropriés à mon avis. Füle a déclaré les relations et les processus de négociation avec la Turquie être cruciaux pour l'UE. Je voudrais voir cette approche dans les relations être utilisée par Ankara afin de refléter l'importance du processus pour les deux parties. Sinon, les politiciens doivent être conscients qu'ils prennent le risque d'être prisonniers des déclarations négatives qui lentement mais sûrement affecteront l'opinion publique.

Par Hélène Flautre (1) paru dans Todays.Zaman


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"Aussi bien l'Union européenne que la Turquie, est de plus en plus mécontente de l'état actuel des relations bilatérales. Il y a beaucoup de frustration de notre côté parce que nous avions espéré que le processus de réforme que votre peuple désirait et dont il tirerait avantage, a été plus lent que nous l'espérions. Mais nous ne devons pas devenir l'otage de cette frustration. La Turquie et l'UE ont besoin l'une de l’autre et plus tous les jours," a déclaré le commissaire de l'UE pour l'élargissement, Stefan Füle, à la conférence "Turquie-UE: Revue des intérêts communs", qui s'est tenue à Istanbul les 17 et 18 novembre.

Stefan Füle a également fait part de sa préoccupation sur les récentes arrestations d'intellectuels turcs et sur la situation de la liberté de presse dans le pays : "La loi anti-terroriste dans le code pénal et dans le cadre législatif est insuffisante pour protéger la liberté d'expression en Turquie. En outre, l'interprétation par les procureurs et les juges de la Convention européenne des droits de l'homme sur la question de la liberté des médias est trop restrictive. Nous sommes en contact régulier avec le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe sur cette question afin d'aider les autorités turques– afin de remédier aux insuffisances, en particulier le ministre de la Justice, sur une série de mesures, y compris en modifiant la loi anti-terroriste et le code pénal. Nous allons participer à ce programme et nous allons le financer. "

Entre 2007 et 2013, l'UE investira annuellement 4,8 millions d'euros pour aider la Turquie à mettre en œuvre les réformes. "Je ne parle pas prêts, mais d’un financement spécifique des réformes. J'espère et je crois que tout cet argent sera utilisé efficacement pour le bénéfice de la population turque."

Le ministre turc de l’UE, Egemen Bağış, a critiqué à son tour la décision de l'UE : "dans une démocratie, ce n’est pas acceptable que deux pays prennent les décisions pour les 27 autres. L'UE devrait également revoir ses mécanismes de décision."

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* Brève USA : cause arménienne *

Le professeur Richard G. Hovannisian, titulaire de la chaire d'histoire arménienne moderne à l'UCLA, a pris la parole lors d’une conférence sur la sentence arbitrale du président Woodrow Wilson.

Avec la sentence arbitrale de Wilson, a été accordée à l'Arménie les provinces de Van, Bitlis, Erzeroum et Trabzon. La sentence arbitrale a vu le jour le 22 Novembre 1920, à la demande du Conseil suprême des puissances alliées d’Avril.

Wilson est un héros pour les Arméniens d'aujourd'hui. Cependant, ses erreurs politiques ont également contribué à la tragédie arménienne. "Voyez : la demande du Conseil suprême d’avril a débouché au Sénat seulement qu’en Novembre. Wilson a mis dix jours pour signer, puis le document a été envoyé à l'ambassadeur américain en Décembre. Lorsque la décision a été rendue aux grandes puissances, la République d'Arménie avait déjà cessé d'exister."

"Ils aimeraient jeter la responsabilité de la Cause arménienne sur Woodrow Wilson. Ce qui est surprenant, c'est que Wilson est tombé dans ce piège. Alors pourquoi cela, s'il savait que le Sénat n'accepterait jamais ce mandat ? Les sénateurs lui ont conseillé de ne pas poser la question, pour éviter que cela tourne plus mal pour les Arméniens. "

Une partie de l'Arménie fut conquise par l'armée turque. L'autre partie volontairement déclarée République Socialiste Soviétique le 2 Décembre 1920, devenue maintenant la République d'Arménie. "Si la sentence arbitrale a été mis en œuvre, l'Arménie aurait 160.000 km² au lieu des 30.000 actuels."

La même chose pour le traité de Sèvres [10 Aout 1920], qui n'a été ratifié par personne. Il fut suivi par les traités de Moscou et de Kars [16 Mars  et 13 Octobre 1921], puis par le Traité de Lausanne signé en Juillet 1923, avec lequel les grandes puissances enterraient définitivement  la Cause arménienne.

Aussi, Richard Hovhannisian n'attribue pas d’importance juridique à la sentence wilsonienne. Il indique cependant, que les autorités arméniennes doivent utiliser ce document comme un outil diplomatique et tirer les leçons du passé pour éviter à l’avenir de faire face à des problèmes similaires.

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* Brève OSCE *

Suite à l’annonce du départ à la retraite de Bernard Fassier, le ministère français des Affaires étrangères n’a fourni aucune information officielle sur la nomination de Jacques Faure au poste de coprésident du Groupe de Minsk de l'OSCE.

Après avoir été ambassadeur en Slovaquie, Monsieur Jacques Faure occupe actuellement le poste d’ambassadeur en Ukraine.

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* Brève Turquie *

La Turquie a achevé la construction du tunnel ferroviaire à la frontière géorgienne dans le cadre du projet Bakou-Tbilissi-Kars. Les opérations sont en cours pour compléter la partie située en Turquie.

Ainsi 35% des 76 km de chemin de fer longeant la route Bakou-Tbilissi-Kars ont été réalisés. Près de 290 millions de livres turques ont déjà été déjà dépensés pour la partie turque. Un appel d'offres à hauteur de 750 millions va être lancé pour les 65% restants.

Parallèlement, une nouvelle branche de 105 km sera ajoutée au BTK prévu - 76 km à travers la Turquie et 29 km à travers la Géorgie.

Au démarrage, prévu en 2013, on table annuellement sur 1 million de passagers et 6,5 millions de tonnes de fret, pour atteindre au final 17 millions de tonnes.

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(1) : Hélène Flautre est eurodéputée (Groupe des Verts/Alliance libre européenne), membre du parti EELV français,  et coprésidente de la Délégation à la commission parlementaire mixte UE-Turquie

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Extrait de PanArmenian.net et de Armenpress