La loi française sur la pénalisation du déni des génocides s’invite dans le conflit du Haut-Karabakh.




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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Que ce soit la Turquie ou l’Azerbaïdjan, ces deux pays sont solidaires pour toutes les questions concernant l’Arménie et les Arméniens. La loi française sur la pénalisation, votée le 23 Janvier dernier en est une nouvelle preuve. En quoi Bakou peut-il être concerné par le génocide des Arméniens perpétré par les Jeunes Turcs en 1915 dans l’empire ottoman?  A priori, en rien, vu que Bakou, tout comme Erevan ou Tiflis, était une capitale provinciale caucasienne de l’empire tzariste.

Seulement, les dirigeants azéris veulent faire passer les Arméniens pour des agresseurs, pire, pour des génocidaires, en leur imputant notamment les «massacres organisées» de Khodjalou. Et pour rester dans le droit fil de leur grand frère turc, ces dirigeants se doivent de reprendre à leur compte leurs propos négationnistes et nier à leur tour la réalité du génocide des Arméniens. Donc la loi française risque de se retourner également contre eux, si elle est promulguée.

C’est une démarche logique si l’on veut que les deux processus, arméno-turc et arméno-azéri, soient liés. Et si lien il y a, il se limite à un parallèle. A savoir que l’Arménie est intervenue dans le différend qui opposait Bakou aux Arméniens du Haut-Karabakh, pour éviter que ces derniers ne se fassent massacrer par l’armée azerbaidjanaise, chose qui ne pouvait pas se faire, et pour cause, en 1915. En fait, ce sont essentiellement les troupes russes qui ont sauvés les habitants des villes et villages arméniens limitrophes du Sud-Caucase et éviter ainsi qu’ils connaissent le sort de les compatriotes d’Anatolie.

Là où les Occidentaux, Etats-Unis en tête, se trompent grandement, c’est de croire qu’un progrès dans l’un quelconque des processus bénéficiera à l’autre, même s’il n’y a pas de lien direct ou indirect.

Ainsi, penser que la normalisation des relations arméno-turques progressera si l’Arménie lâche du lest dans le conflit du Haut-Karabakh, c’est méconnaitre le lourd différend qui sépare les Arméniens et la Turquie. Différend qui plombe les relations depuis près d’un siècle et non à cause de la guerre arméno-azerbaidjanaise.

Penser qu’un quelconque progrès dans la normalisation des relations arméno-turques peut avoir un effet bénéfique dans les négociations arméno-azéries est totalement erroné. Le remède serait pire que le mal, car l’Azerbaïdjan, pensant être lâché, durcira encore plus son intransigeance et il laissera libre cours à son courroux, c'est-à-dire la reprise de la guerre.




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* Côté Etats-Unis

L’ancien coprésident américain du Groupe de Minsk de l'OSCE et ambassadeur (non-confirmé) en Azerbaïdjan, Matthew Bryza, ne lie pas le refus du Sénat à valider sa nomination à Bakou à l'influence du lobby arménien.

"Regardez ce que le président Obama a fait l'année dernière, il a utilisé ses pouvoirs constitutionnels pour contourner le blocage. Il a compris l'intérêt stratégique de l'Azerbaïdjan et il continu à y croire. Cette fois, sa décision est peut-être basée sur des facteurs qui vont au-delà des facteurs liés à Bakou. N’oublions pas que nous sommes dans une année électorale."

"Il y a eu d'énormes progrès dans les négociations de paix. Les côtés sont très proches d'une percée. Il y a quelques points qui accrochent,  mais ils peuvent être résolus si les présidents arménien et azerbaïdjanais prennent une décision politique très difficile et risquée. Ils ne le feront pas tant que qu'ils ne recevront pas un soutien politique des États-Unis et la France."

"C'est une énorme erreur de dire explicitement qu’il n'y a pas du tout de lien entre la normalisation des relations turco-arménienne et le règlement du conflit du Haut-Karabakh. J'ai toujours cru que les deux questions s’aideront mutuellement, tout progrès dans l’un quelconque des processus influera positivement sur l’autre."

"Les dirigeant turcs se rendent compte que l'ouverture de la frontière avec l'Arménie est totalement en dehors du contexte du Haut-Karabakh, la Turquie avance dans une direction nouvelle, car elle a fermé sa frontière dans le contexte du conflit du Haut-Karabakh. Les Azerbaïdjanais n'oublieront jamais cela, ils ont une influence politique significative en Turquie."

"Il y a eu des progrès en Turquie. Il y a plus d'acceptation d'une discussion ouverte sur ce qui s'est passé. Je pense que l’assassinat de Hrant Dink a été un réveil énorme pour des millions de Turcs. Ce n'est pas seulement le gouvernement, c'est la société qui a progressé en se rendant compte que de terribles massacres ont été commis par les troupes ottomanes. Mais ce qui n'a pas changé du tout, pour des raisons légitimes, c’est le point de vue de la classe dirigeante turque sur la non-reconnaissance politique en tant que génocide," a-t- déclaré au quotidien Hurriyet.

* Côté Azerbaïdjan

"Si la France continue à soutenir l'Arménie, son appartenance au Groupe de Minsk de l'OSCE n’aura plus de sens," a déclaré le ministre des Affaires étrangères azerbaïdjanais, Elmar Mammediarov.

Il juge inacceptable la position du Sénat français sur la loi de pénalisation du déni des génocides, notant que le débat sur le sujet par des politiciens peut entraîner une rétroaction.

Dans ce contexte, les dirigeants azéris soulignent la nécessité pour la France de reconnaître également le soi-disant ‘génocide de Khodjalou’.

Mammediarov a en outre appelé à un règlement immédiat du conflit du Haut Karabakh, en invitant instamment l'UE à prendre l'initiative face à l'incapacité du groupe de Minsk de l’OSCE qui depuis vingt ans essaie de résoudre le problème.

"L'Azerbaïdjan soutient pleinement l'adhésion de la Turquie à l'UE, car elle contribuera à l'établissement de la stabilité dans le Caucase et à la résolution du conflit du Karabakh," a-t-il déclaré à l'agence ABhaber.

(…)

L’ambassadeur d'Azerbaïdjan en Turquie, Faik Bagirov, s’est dit déçu concernant les propos des médias turcs sur l'insuffisance des efforts de Bakou sur les revendications d’Ankara pour empêcher le passage du projet de loi français sur la pénalisation. "L'Azerbaïdjan est le seul pays à soutenir la Turquie sur cette question en raison de ses relations amicales et fraternelles," a-t-il déclaré au quotidien Hurriyet.

Bagirov a stigmatisé ceux qui répandent de telles idées dans les milieux hostiles pour tenter de semer des graines de discorde entre les peuples turc et azerbaïdjanais.

Il a proposé en outre d'organiser une réunion des pays du Groupe de Minsk de l'OSCE pour faire démettre la France de son poste de coprésident. "Le Groupe de Minsk a été créé  le 24 Mars 1992 ; cela fait donc vingt ans. Une réunion pourrait être organisée à cette occasion au cours de laquelle le rôle de la France serait examiné. Il ne fait aucun doute que la neutralité de la France pose problème. Aussi il faudrait évincer la France en tant que pays coprésident, suite a l’adoption par le Sénat du projet de loi de pénalisation, mais il n’existe pas de procédure claire sur la façon de démettre un pays de la coprésidence," a-t-il souligné.

* Côté Arménie

Le Représentant permanent de l'Arménie à l'ONU, Garen Nazarian, a adressé une lettre au Conseil de sécurité de l'ONU, où il exprime ses regrets que l'Azerbaïdjan - membre non permanent nouvellement élu au Conseil de sécurité -, profite de sa position pour diffuser des informations erronées et/ou tronquées à propos du conflit du Karabakh, en contradiction avec l’origine du conflit et l'esprit de négociations dans le cadre du Groupe de Minsk de l'OSCE.

Il a appelé l'Azerbaïdjan à respecter l'activité du Conseil de sécurité et de s'abstenir de faire des déclarations provocatrices. La lettre a été diffusée en réponse à la déclaration du représentant azerbaïdjanais suite à l'exposé du président en exercice de l'OSCE, le ministre des Affaires étrangères de l'Irlande Eamon Gilmore, qui a salué les efforts du Groupe de Minsk de l'OSCE pour le règlement du conflit du Karabakh.

"La déclaration de l'Azerbaïdjan est en contradiction avec l'esprit de la Déclaration commune des Présidents arménien, russe et azerbaïdjanais, faite le mois dernier à Sotchi, qui soulignait la volonté des parties à accélérer un accord sur les principes de base proposés par les médiateurs.
Quel est le sens de la tentative de l'Azerbaïdjan à ouvrir au sein du Conseil de sécurité des discussions sur le problème du Haut-Karabakh ou à vouloir changer la terminologie acceptée par l'OSCE et utilisée depuis le début des négociations dans les documents et les déclarations de l'OSCE ? Utiliser la terminologie correcte pour s'attaquer aux causes profondes du conflit est une chose, mais l’utiliser pour changer les faits et fausser la réalité est une question complètement différente."

"Malheureusement, un tel comportement de l'Azerbaïdjan confirme que la seule ligne directrice de ce pays a été, et reste, l'utilisation de cette éminente tribune pour diffuser de fausses informations, désinformer et dénaturer le processus du règlement du conflit du Haut-Karabakh. Malgré sa promesse devant le Conseil de sécurité de l'ONU "pour le maintien de la paix internationale", l'Azerbaïdjan menace en permanence d'utiliser la force contre le Haut-Karabakh et l'Arménie, émet quotidiennement des propos bellicistes par la voie son chef, augmente de façon spectaculaire son budget militaire, poursuit les violations du cessez-le-feu sur la ligne de contact entre le Haut-Karabakh et l'Azerbaïdjan, et commet systématiquement des actes de vandalisme envers le patrimoine historique et culturel arménien ; et de cette liste pourrait se poursuivre."

"En réponse aux appels du Secrétaire général de l’ONU, de l'OSCE et des coprésidents du Groupe de Minsk des deux dernières années, l'Arménie et le Haut-Karabakh ont répondu positivement aux propositions de retrait des tireurs d'élite de la ligne de contact, à la consolidation du cessez-le-feu, à la création d'un mécanisme d'enquête des incidents le long de la ligne de contact. Toutefois, l'Azerbaïdjan continue de rejeter ces propositions."

"Après les déclarations conjointes sur le conflit du Haut-Karabakh par les présidents de la Russie, des Etats-Unis et de la France lors des Sommets du G8 à l'Aquila (2009), à Muskoka (2010) et à Deauville (2011), l'Arménie les a accueillies favorablement et a déclaré qu’elle était prête à avancer sur la base des principes et des éléments proposés dans ces déclarations. Cela prouve que les approches de la communauté internationale sont en ligne avec les approches de l'Arménie."

"Pourquoi le Représentant permanent de l'Azerbaïdjan n’a-t-il pas rappelé ces déclarations lors de sa présentation ? Tout simplement parce que l'Azerbaïdjan refuse de les accepter. Peut-être qu'il lui appartient, dans son rôle de nouvel élu au Conseil de sécurité, de respecter le travail de cette Organisation et de ses membres, en s'abstenant de toute provocation ou de déclaration," conclut la lettre.

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Extrait de Radiolour et de PanArmenian