L’après 24 Avril


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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

Les années passent mais les tabous restent. Certes l’on peut discuter en Turquie du génocide arménien, mais il faut suivre les règles imposées : - le mot génocide arménien doit est précédé de la locution ‘soi-disant’, ce que le président Gül a fait à Çanakkale ; - Massacrer des Arméniens en masse ne signifie pas perpétrer un génocide ; - Le nombre d’Arméniens massacrés doit correspondre à un nombre égal de Turcs tués, tout au plus quelques centaines de milliers, mais certainement pas 1,5 million ; - la qualification des événements ne peut se faire qu’après l’examen des archives par une Commission ad hoc d’historiens plurinationaux. Sinon gare à l’article 301 qui prévoit amende et emprisonnement au contrevenant. Le prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk, a été poursuivi pour avoir avancé le chiffre de 1 million de victimes.

Et même si tous ces conditions étaient remplies, comme l’a dit si bien dit le Premier ministre Erdogan, il ne sied pas à la fierté des Turcs d’être accusés de génocidaires ! D’ailleurs il suffit de lire l’histoire de l’empire ottoman pour se rendre compte que le peuple turc est un peuple pacifique, et que s’ils sont descendus des steppes d’Asie centrale il y a 1000 ans, c’était pout faire du tourisme.

Aussi, croire qu’un politicien turc soit prêt à embrasser les revendications arméniennes, est un leurre. Le cas du député Ismet Uçma, décrit ci-après, est symptomatique de l’état d’esprit de la classe politique turque. Même dit avec des propos modérés, le fond reste inchangé : La Turquie ne reconnaît pas le génocide et se repose sur les résultats d’une Commission d’historiens à créer. Il reprend le même argumentaire que les historiens officiels turcs, se payant le luxe de créer un néologisme plus que douteux. Monsieur Uçma confond culpabilité et responsabilité. Les Jeunes-Turcs étaient coupables et ils ont été condamnés par contumace pour crime contre l’humanité par un tribunal turc en 1919 ; l’Etat turc, quel que soit le régime, empire ou république, porte toujours la responsabilité des actes commis par ses prédécesseurs.

Les dirigeants turcs le savent très bien, et reconnaître le génocide implique pour eux octroyer des réparations : matérielles, financières voire territoriales.
C’est le moins qu’ils puissent faire pour avoir joui impunément des biens, des propriétés, des terres confisquées aux Arméniens de 1915 jusqu’en 1923, par Mustapha Kemal Atatürk(1).



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* Les Officiels turcs et le 24 Avril *

* Le problème arménien : le désespoir et l'espoir

Comme une personne qui vit en Turquie tantôt dedans tantôt dehors, parfois je deviens très optimiste, et parfois je me trouve dans un état d'esprit pessimiste. Et ces deux humeurs peuvent alterner d’un jour à l’autre.

L'autre jour, j'ai assisté à un débat sur l'une des chaînes de télévision des plus populaires en Turquie. Le thème était «le problème arménien». Un intellectuel arménien, Garo Paylan, et moi étions d’un côté, de l'autre était le bloc ‘front’ nationaliste, composé d'un ancien politicien du Parti républicain du peuple (CHP) et de deux universitaires, dont l'un était de la Société d'Histoire Turque (TTK).

Le débat est devenu très étouffant. Tout d'un coup de nombreux "arguments" officiels se sont déversés sur nous. C'était vraiment gênant de voir que ces personnes n’ont jamais changé leurs arguments. Ils n'ont même pas essayé d'être plus intelligents ou plus sophistiqués. Mais le plus beau est venu à la fin. Le débat a été très animé, parfois très intense et notre "historien officiel" prononça quelques mots très choquant. Il a mis en garde Garo en disant que "il peut finir en Californie" comme ses ancêtres. Ce monsieur est officiellement historien de l’Institut d’histoire du pays, et responsable du problème arménien.

La Turquie peut-elle avancer d'un pouce avec ce genre de «historien»? J'ai quitté la chaîne de télévision avec une grosse migraine et très gravement préoccupé par l'avenir de ce pays.

Quand, j'ai lu une interview de l'un des fondateurs istanbuliotes du parti au pouvoir (AKP), Ismet Uçma, je suis devenu très optimiste de nouveau. J'ai relevé certaines de ses remarques :

"En 1915, une «chose anormale» s’est passée qui n'avait pas eu lieu auparavant dans les 1000 ans d'histoire et les codes de civilisation de cette nation. Les historiens doivent mettre en évidence tous les documents connexes. Un référentiel unique de ces documents doit être créé et les politiciens doivent évaluer les résultats qui en découlent. Ensuite, la communauté internationale devra prendre une décision pour qualifier la situation. C'est ma proposition personnelle. Je crois que nos citoyens arméniens, nos amis arméniens n'ont pas subi un «génocide» mais un «génoxile». Si le génocide avait été le vrai but, alors les méthodes de destruction utilisées par les Espagnols et les Portugais contre les indigènes d'Afrique du Sud ou par les Américains contre les Amérindiens ou par les Allemands contre les Juifs auraient été utilisés. C'est le Comité Union et Progrès qui a été responsable de la douleur et des souffrances des Turcs, des Arméniens et de tous les citoyens de cette époque. Ce n'est pas acceptable du tout."

"Si vous essayez de créer un État-nation, vous dresser les gens les uns contre les autres. Nous [La République turque], ne sommes pas responsables de ces incidents, ce sont les Jeunes-Turcs. Pourtant, nous devrions être en mesure de dire : 'Nous nous excusons pour ces incidents de notre passé." Personnellement, je propose cette excuse de ‘genoxile' [un néologisme qui signifie «l'envoi d'une ethnie en exil»]. Si vous confondez la lutte contre le Parti des Travailleurs Kurdes (PKK) avec la «lutte contre un peuple», une situation très tragique va émerger. Il ne peut pas être expliqué. Les massacres effectués par des bandes arméniennes en coopération avec certains pays étrangers est une chose et la délocalisation de nos citoyens arméniens, c'est autre chose. Les Jeunes-Turcs ont confondu les gangs arméniens avec d’innocents citoyens arméniens. Et ils ont fait payer le prix à tous les Arméniens. Dans l'histoire, il y a d'autres exemples de déplacements forcés. Les gens déplacés doivent l’être avec une sécurité extrême. Est-ce ce qui s'est passé avec le déplacement des Arméniens ? Non. .. Nul ne devrait s'installer dans la maison ou dans le pays de l’autre. Je ne ferais pas cela. Aujourd'hui, les propriétés appartenant à des fondations créées par certaines minorités religieuses leurs sont retournées. Cela ne devrait pas passer inaperçu."

"Si la nation arménienne et la nation turque travaillent ensemble, ils peuvent résoudre ce problème. Dieu, le Coran et les prophètes permettront d'être interrogés et examinés. Dieu a dit, "S'il y a de nombreux dieux, ce sera le chaos." Mais nous ne pouvons pas discuter de certains tabous. Quand vous parlez d'eux, ils soulèvent l'enfer. Nous devons surmonter cet obstacle. Tout le monde doit croire et vivre comme il l’entend. Personne ne doit imposer certains modes de vie ou croyances aux autres. C'est le principal point ... Je ne peux pas tenir la nation arménienne distincte de la nation turque. Leurs douleurs sont les nôtres. Aucun être humain n’est plus «humain» que les autres. Personne n'est plus privilégié que l’autre. Nous devons être ouverts à la critique. Sur les commémorations actuelles, les gens ont pris position et agi avec des attitudes racistes. Cela doit être ouvert à la discussion ... La Turquie doit ouvrir sa frontière avec l'Arménie parallèlement aux discussions du statut des territoires azerbaïdjanais occupés par l'Arménie. Ces gens qui ont vécu avec nous, partagé les mêmes sentiments et utilisé la même langue littéraire, doivent être soulagés de leurs douleurs. Ces choses-là ne doivent pas être sacrifiées à des tensions politiques."

Aussi que je sois d'accord ou non avec chaque mot, les propos du député Uçma me donnent de l’espoir. Je souhaite que plus de gens comme lui viennent et parlent ouvertement. La clé de toute solution pour le problème arménien se trouve dans les mains de ces non-nationalistes Turcs ou Arméniens. Que Dieu les bénisse!

Orhan Kemal Cengiz – Zaman

* Abdullah Gül *

Le président Abdullah Gül, s'exprimant à l'occasion du 97e anniversaire de la bataille de Çanakkale (détroit des Dardanelles), a déclaré :

"La Turquie organise tous les ans une cérémonie pour commémorer les soldats français morts à Çanakkale, mais la France ne présente pas la même bonne approche envers la Turquie. Après la création de la République [turque], nous avons évité de rouvrir de vieilles blessures afin que les générations futures n’héritent pas ces douleurs. Malheureusement, la diaspora arménienne a commencé à partir des années 60 à instrumentaliser cet événement tragique pour la préservation de son identité et pour renforcer le sentiment de solidarité entre eux.

Certains pays ont ratifié injustement des lois pénalisant le soi-disant génocide arménien. Les politiciens qui ont voté ces lois n'ont pas connaissance des conditions politiques de l'époque, ils sont à la poursuite d’avantages politiques."

Réitérant l'appel de la Turquie pour la création d'une Commission non partisane composée d'éminents historiens turcs et étrangers pour enquêter sur les événements de 1915, Gül a indiqué que ni l'Arménie ni la France n’ont donné une réponse positive à cet appel.

" Aujourd’hui, nous observons  fréquemment et avec tristesse que les politiciens français exploitent la mort des Arméniens durant la Première Guerre pour obtenir le soutien de la communauté arménienne de France et ce faisant encouragent la turcophobie en France,"  a-t-il ajouté.

* L’après 24 Avril en Arménie*

* Edgar Hovannisian

Les forces armées azerbaïdjanaises ont violé à plusieurs reprises le cessez-le-feu  la semaine dernière, faisant trois morts et deux blessés dans les rangs arméniens, sans compter le bombardement d’une école maternelle. Suite à quoi, les coprésidents du Groupe de Minsk ont publié une déclaration appelant les parties à respecter leurs engagements et à éviter d’utiliser la force.

"Il est temps pour les coprésidents d'appeler les choses par leurs noms, sinon de telles déclarations vont créer un terreau fertile pour les provocations par l'Azerbaïdjan. Si l’on veut connaître la vérité en lisant la déclaration des coprésidents, on voit bien que rien n’est précisé : Qui a violé le cessez-le-feu ou qui est responsable des pertes de vies humaines ?" a déclaré l’expert Edgar Hovannisian.

Et d’ajouter que : "discuter de la stabilité devient impossible sauf à désigner clairement les fauteurs de trouble."

* Ruben Safrastian

Des centaines de commémorations du génocide arménien vont se dérouler en 2015. Le directeur de l’Institut des Etudes Orientales, Ruben Safrastian, a indiqué les réalisations actuelles et les attentes en vue de cette date.

Q - Monsieur Safrastian, quelles sont les réalisations dans le processus de reconnaissance internationale du génocide arménien?

R - Dans les dernières années, la reconnaissance et la condamnation du génocide ont beaucoup avancé et à cet égard le processus de pénalisation de la négation du génocide arménien lancé en France est d'une importance cruciale. Bien que la première tentative ait échoué, il est fort probable que le processus arrive à son terme, et ce quel que soit le nouveau président de la France. Une étape fondamentale sera lancée et je crois que certains Etats de l'Union européenne se joindront au processus.

Q - Y a-t-il des changements dans la position officielle de la Turquie?

R – La position officielle de la Turquie n'a pas changé ; sa politique de négation et de falsification reste la même. Et je pense que cela ne changera pas dans un avenir proche. Je n’ai remarqué aucun changement chez les dirigeants ou dans les partis politiques turcs, quels qu’ils soient.

Q - Avez-vous remarqué des changements dans la société civile?

R –Oui, mais que dans certains groupes sociaux turcs, en particulier parmi les défenseurs des droits de l’homme, les scientifiques, les journalistes et les étudiants. Une partie de la société a dévoilé la vérité sur le génocide et les atrocités, et a condamné les menées sous le régime ottoman. Mais quasiment personne n’utilise le mot génocide, ce qui en fait est tout à fait explicable.

J’espère que la Commission devant s’occuper de 2015, comprendra outre des politiques, des avocats, des historiens et des politologues. Les deux, Les experts nationaux et diasporiques doivent être invités à former la Commission, qui étudiera les moyens de traiter la question sur le plan juridique.

* Brève Iran *

A l'invitation de son homologue iranien, Ali Akbar Salehi, le ministre des Affaires étrangères arménien, Edouard Nalbandian, est arrivé à Téhéran dimanche pour une visite officielle, il a été accueilli par président iranien Mahmoud Ahmadinejad.

M. Nalbandian a transmis le message du président arménien Serge Sarkissian. En retour, le président Ahmadinejad a adressé ses salutations cordiales et ses vœux au Président Serge Sarkissian et au peuple arménien. Il a indiqué que l'Iran s’efforcera de développer les relations avec l'Arménie dans différents domaines. Un accroissement du volume des échanges commerciaux est par conséquent très attendu entre Erevan et Téhéran.

Les discussions avec son homologue ont porté sur la coopération bilatérale et sur la mise en œuvre de projets économiques conjoints : la construction d'une ligne électrique à haute tension entre l'Iran et l'Arménie, la construction d’une centrale hydraulique sur le fleuve Araxe, un nouvel oléoduc, un complexe de stockage pétrolier, ainsi qu’un chemin de fer entre les deux pays. Les interlocuteurs ont également abordé l'activité de la Commission intergouvernementale arméno-iranienne, qui tiendra sa prochaine séance à Erevan cet été.

"L'Arménie est un pays qui mérite d’avoir un rôle vital dans la région. L’Iran soutient le règlement pacifique du conflit du Haut-Karabakh. Des efforts doivent être faits pour développer le volume du commerce bilatéral. La mise en œuvre de programmes conjoints, tels que la construction d’un chemin de fer, d’un l'oléoduc et d’une la ligne HT contribueront à l'accomplissement d'autres missions conjointes,"



"La politique de la République islamique est de renforcer la convergence entre les pays de la région pour résoudre les différences et les différends par la négociation et la compréhension mutuelle. La mise en œuvre de projets économiques conjoints est une étape importante vers l'amélioration des liens économiques bilatéraux, il faut accroître les relations entre les secteurs privés de l'Iran et de l'Arménie," a déclaré le ministre iranien.

"L'Iran déploie des efforts pour développer les relations avec l'Arménie dans différents domaines," a déclaré pour sa part le président Mahmoud Ahmadinejad, lors de sa réunion avec Edouard Nalbandian.


M. Salehi a présenté les derniers développements dans les négociations sur les programmes nucléaires de l'Iran. Le ministre Nalbandian a noté des progrès enregistrés dans ce domaine et a exprimé l'espoir que de nouveaux progrès seront réalisés au cours de la prochaine réunion à Bagdad.


Le ministre arménien des Affaires étrangères a informé son homologue sur le processus de règlement du conflit du Karabakh, soulignant l'importance de la position équilibrée de l'Iran sur la question.


Le chef de la diplomatie arménienne a eu des entretiens avec le président du Parlement iranien, Ali Larijani, et le Secrétaire du Conseil suprême de sécurité de l'Iran, négociateur en chef des programmes nucléaires, Saïd Jalili.


Les échanges commerciaux entre les deux pays a atteint 270 millions de dollars en 2010, et se situe actuellement aux alentours de 300 millions.


"Les parlements des deux pays ont un rôle important dans la consolidation des relations bilatérales. L'Arménie attache une grande importance à l'expansion des relations amicales avec la République islamique dans tous les domaines," a ajouté le ministre arménien.


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Extrait de Panorama et de Zaman

(1) Atatürk avait mis en place tout un ensemble de mesures et de lois concernant les Arméniens, lesquelles sont toujours en vigueur. Celles-ci interdisaient aux réfugiés arméniens originaires de Turquie de retourner dans leur village ou leur ville d’origine.
-      La loi du 20 avril 1922 prévoit la confiscation en Cilicie de tous les biens appartenant aux personnes qui avaient ‘quitté’ la région ;
-      La loi du 25 avril 1923 étend la confiscation à tous les Arméniens, quels que soient les motifs ou la date de leur départ du pays ;
-      La loi de septembre 1923, article 2, interdit le retour des Arméniens en Cilicie et dans les provinces de l’Est (Arménie Occidentale) ;
-      La loi du 23 mai 1927 exclue de la nationalité turque tous ceux qui, lors de la guerre de l’indépendance, n’y ont pas pris part ou qui sont restés à l’étranger entre le 24 juillet 1923 (Traité de Lausanne) et la date de la promulgation de cette loi.