Le Karabakh revient au devant de la scène

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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

Les parties en conflit vont une nouvelle fois se rencontrer la semaine prochaine pour la n+1ème fois, et fort probablement en programmer une nouvelle pour la fin de l'année.

Est-ce que pour autant les positions ont changé ? A écouter les uns et les autres, rien ne l'indique. Ce qui a changé, ce sont les accords signés cet été. Côté Arménie, la présence de la base militaire russe de Gumri a été prolongée et l'alliance militaire arméno-russe renforcée. Côté Azerbaïdjan, de nouveaux accords énergétiques ont été signés avec Moscou, et Bakou a passé commande de batteries de missiles anti-aériennes russes. Bref la présence du Kremlin se fait plus que jamais sentir dans ce coin du Caucase, d'autant que l'éviction de Matthew Briza comme ambassadeur des Etats-Unis à Bakou n'a pas arrangé les affaires de Washington, et que ses relations avec Ankara sont au plus bas. L'effet politique d'Obama dans cette région s'est limité à essayer de rapprocher la victime et son bourreau par la méthode du pardon et de l'oubli.

Se focaliser sur le droit international pour résoudre le conflit du Karabakh, alors que celui-ci est bafoué en permanence à Chypre depuis 1974 et en Palestine depuis des lustres, relève de l'hypocrisie des grandes puissances. Et que dire des génocides de ces dernières décennies dont ces mêmes grandes puissances se fichent royalement, pleurant des larmes de crocodiles après coup ! Les casques bleus onusiens n'empêcheront pas les Azéris d'attaquer sournoisement les Arméniens. Ce ne sont pas les exemples qui manquent.

Comme le dit Ara Papian, toute restitution de territoires entourant le Haut-Karabakh, signifie l'éradication de la présence arménienne sur ces terres. Les villes-mortes d'Aghdam et de Fizuli restant toujours une bonne monnaie d'échange. Quant à remettre le Haut-Karabakh sous administration azérie, c'est faire injure aux milliers de morts et doit rester du domaine du rêve [de Bakou].

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Une réunion trilatérale entre les Présidents arménien, azerbaidjanais et russe aura lieu à Astrakhan le 27 Octobre prochain à l'initiative du Président russe, Dimitri Medvedev. La précédente réunion de ce type avait eu lieu à Moscou le 17 Juin dernier.

Les parties continueront les pourparlers sur un règlement pacifique du conflit du Haut Karabakh. La décision d'une réunion entres les leaders arménien et azerbaïdjanais en marge du sommet de l'OSCE à Astana, sera décidée au vue des résultats de la réunion trilatérale.

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** Le différend constitutionnel et le droit international **


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"Si l'Arménie reconnaissait l'indépendance du Haut-Karabakh, ce sera une grave erreur du point de vue du droit international," a déclaré le ministre des Affaires étrangères azerbaïdjanais, Elmar Mammediarov.

Au cours de la 1er Symposium annuel des spécialistes des relations internationales à Bakou, il a déclaré : "le droit international se réfère à une certaine frontière lorsque la reconnaissance de l'indépendance est à l'ordre du jour. L'ONU a reconnu l'indépendance de l'Azerbaïdjan dans les frontières de l'ex-République Socialiste Soviétique de l'Azerbaïdjan, et donc le Haut-Karabakh comme partie intégrante de la RSS d'Azerbaïdjan. Avec des frontières reconnues par la communauté internationale, l'Azerbaïdjan a rejoint l'ONU, l'OSCE, le CoE et d'autres organisations. Les déclarations des Arméniens comme quoi le Haut-Karabakh n'a jamais fait partie de l'Azerbaïdjan, sont fausses."

Mammediarov a dû oublier qu'après l'effondrement de l'Union soviétique, l'Azerbaïdjan s'est lui-même annoncé en tant que successeur légal de l'Azerbaïdjan, de la République Démocratique d'Azerbaïdjan, celle de 1920, et non de la RSS d'Azerbaïdjan.

Plus précisément, l'article 2 de la loi constitutionnelle de la République d'Azerbaïdjan sur l'Etat indépendant de la République d'Azerbaïdjan, déclare : "la République d'Azerbaïdjan est le successeur juridique de la République d'Azerbaïdjan datant de la période 28 mai 1918 - 28 avril 1920."

Le Haut-Karabakh, dont 94% de la population est arménienne, a été rattaché à la RSS d'Azerbaïdjan en 1921 en tant que région autonome, par une décision du Bureau du Caucase.

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** Interview de l'historien Ara Papian **


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Le Groupe de Minsk de l'OSCE a accompli sa mission d'évaluation dans les territoires entourant le Haut-Karabakh. Une année s'est écoulée depuis la signature des protocoles relatifs à la normalisation des relations arméno-turques. A quoi peut s'attendre Arménie et qu'impliquent les derniers développements dans la région sur les problèmes les plus sensibles - la résolution du conflit du Haut-Karabakh et de la réconciliation arméno-turque ? Le directeur du Centre Modus Vivendi, l'historien Ara Papian, donne son sentiment.

Comment évaluez-vous la mission sur le terrain du Groupe de Minsk ? Était-il nécessaire à ce stade ?

Cette démarche n'est pas claire pour moi, et une telle mission ‘factuelle' m'apparait totalement incongrue. Pour quelle fin des ‘faits' doivent-ils être trouvés ? Je crois que l'Azerbaïdjan n'a toujours pas accepté le droit à l'autodétermination politique de la population du Haut-Karabakh, et notamment de la partie arménienne. Et surtout les autorités de la RHK ne doivent pas encourager les activités des médiateurs, surtout quand elles sont menées à la demande de l'Azerbaïdjan, et de manière unilatérale.

L'Azerbaïdjan ne se lasse pas de déclarer qu'il est prêt à résoudre [militairement] la question du Karabakh. Dans quels buts ces proclamations sont-elles faites ? Campagne pour la politique intérieure, ou chantage envers la communauté internationale ?

Quelle est pour les dirigeants azerbaïdjanais, la solution du problème du Karabakh ? C'est la répétition des massacres de Bakou (Septembre 1918), de Chouchi (Mars 1920), de Soumgaït (Février 1988) et de nouveau à Bakou (Janvier 1990). Y a-t-il quelqu'un dans le monde - sauf bien sûr, les Turcs, petits ou grands - qui croit vraiment que les Arméniens peuvent être des citoyens à part entière en Azerbaïdjan ? Si la question du Karabakh est résolue selon les désirs des dirigeants de Bakou, le meilleur scénario qui attend les Arméniens du Haut-Karabakh est l'exil.

J'ai eu l'occasion de rencontrer au Canada le général Roméo Dallaire, qui a été le commandant de la mission de paix des Nations Unies au Rwanda de 93 à 94, au moment où les Hutus mirent en œuvre le génocide des Tutsis. Le général a raconté les horribles détails du génocide et a indiqué qu'il n'avait ni la capacité ni l'autorité pour défendre la population. Pourquoi certains pensent que les casques bleus seraient mieux lotis et plus efficace dans le Sud-Caucase ? Si la communauté internationale est apte à maintenir la sécurité d'une population, qu'elle le fasse pour les pauvres gens du Darfour. Nous ne devons pas laisser les Turcs réaliser de nouveau un autre génocide arménien.

Y a-t-il un organisme dans le monde, y compris l'ONU, susceptible de faire davantage pour résoudre le problème du Karabakh, autre que le Groupe de Minsk de l'OSCE ?

Si la participation de l'ONU doit se faire par le biais des instances politiques (Conseil de sécurité, l'Assemblée générale), elle n'aurait aucun effet positif, car la politique aurait une forte odeur de pétrole. Si la Cour Internationale de Justice (CIJ) de l'ONU entrait en jeu, alors le processus serait boosté. En fin de compte, la CIJ est la moins politisée des organes des Nations Unies et elle exerce ses activités sur la base du droit international. Ainsi on a laissé le tribunal décider du pourquoi les Albanais du Kosovo pouvaient jouir du droit à l'autodétermination politique, pour la réalisation du quel certains pays sont prêts à bombarder Belgrade, alors que ces mêmes pays ne souhaitent absolument pas bombarder Bakou afin d'assurer le même droit aux Arméniens du Karabakh. Peut-être que ces pays veulent éviter d'endommager les derricks de pétrole dont les bénéfices remplissent leurs coffres ?

Ils disent que les protocoles Arménie-Turquie ont été sabordés en partie à cause de l'Azerbaïdjan. Dans quelle mesure cela est-il vrai ?

Bien sûr, l'Azerbaïdjan joue un rôle là-dedans. Mais si cela ne correspondait pas aux intérêts de la Turquie, alors Bakou n'aurait pas été en mesure de faire quoi que ce soit. La vérité, à mon avis, est que la Turquie, consciente des faiblesses internes de l'Arménie, souhaite profiter au maximum et légitimer les territoires spoliés et occupés de la République d'Arménie par le biais de la reconnaissance des frontières, tout en rendant la frontière orientale de l'Arménie vulnérable par la restitution du Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan.

Comment voyez-vous l'avenir des relations arméno-turques ?

Si l'on veut normaliser les relations entre l'Arménie et la Turquie, nous devons trainer le criminel - la Turquie - devant la cour de justice, où il sera jugé comme il se doit, tandis que la partie lésée - la République d'Arménie - recevra des justes réparations : morales, matérielles et territoriales. Sans cela, il sera impossible d'avoir des relations normales avec la Turquie ; elles seraient non sincères et très instables.

Extraits de la Radio Publique d'Arménie, de Armenialiberty et de PanArmenian