Edouard Nalbandian à Vienne

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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

Que l'Autriche soutienne l'Azerbaïdjan plutôt que l'Arménie ou la Géorgie, rien d'étonnant. Comme de nombreux pays de l'UE, elle préfère les yeux ‘bleu pétrole' des Azéris à ceux beaucoup moins ‘pétrole' des Arméniens ou des Géorgiens.

Ce qui, bien sûr, n'empêche pas les diplomates et les médias de ces pays de soutenir les propositions du groupe de Minsk de l'OSCE, en évitant au maximum de porter un jugement équitable sur les dérapages constatés, dans les propos et dans les actes relevés. Quant à faire preuve de courage et dire tout haut ce que certains pensent tout bas, il ne faut pas demander l'impossible à des politiciens ou à des diplomates.

Demander à un pays de soutenir sa candidature au poste de Secrétaire Générale de l'OSCE, alors que l'on n'a pas daigné nouer des relations diplomatiques avec ce pays, parait pour le moins étrange. Du moment qu'Ankara a osé cette démarche, pourquoi pas Vienne ?

Différence de taille tout de même, celle de la Turquie est déplacée, pour ne pas dire incongrue.

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Heinz-Fischer-et-Edouard_me
Le président autrichien Heinz Fischer a reçu le ministre arménien des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian. Le président Fischer a indiqué le désir de l'Autriche d'approfondir et de renforcer les relations amicales avec l'Arménie.

Edouard Nalbandian a parlé d'un dialogue politique de haut niveau, de la coopération dans le cadre des programmes de l'UE et des organisations internationales, du développement des relations économiques et des échanges culturels comme des réalisations importantes, sur la base desquelles il est nécessaire de prendre des mesures concrètes pour renforcer et élargir la coopération dans différents domaines.


Michael-Spindelegger—Edoua
Le chef de la diplomatie arménienne a rencontré le ministre fédéral des Affaires européennes et internationales, Michael Spindelegger. Les questions relatives à la coopération UE-Arménie, les mesures à prendre pour renforcer la coopération bilatérale dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage et du programme de Partenariat oriental de l'UE, ont été abordées.

À la demande de son hôte, le ministre Nalbandian a présenté les derniers développements du processus de règlement du conflit du Karabakh. M. Spindelegger a réitéré son soutien aux négociations dans le cadre du Groupe de Minsk de l'OSCE et à la nécessité de régler le problème par des voies pacifiques.

Le même jour, le ministre Nalbandian s'est rendu au Parlement autrichien et a participé à la session plénière.

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** Le point sur les protocoles arméno-turcs **

Dans le cadre de sa visite en Autriche, Edouard Nalbandian a donné une interview au quotidien autrichien ‘Der Standard'.

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Standard : Vous avez signé les protocoles de Zurich, qui visent à la normalisation des relations entre la Turquie et l'Arménie en dépit des protestations politiques dans votre pays et au sein de la diaspora à travers le monde. Vous sentez-vous frustré que la Turquie ait mis la ratification en attente ?

Nalbandian : Certaines personnes, y compris en Europe, n'ont aucune confiance dans la partie turque. Ils pensent que la Turquie dit une chose et fait autre chose. Le processus de négociation avec la partie turque a été long, difficile avec de nombreux obstacles. Il y a eu plus de dix réunions au niveau ministériel. A Davos, par exemple, nous avons eu 35 heures de négociations avec le ministre des Affaires étrangères d'alors, Ali Babacan. Nous avons finalement trouvé un accord et nous avons signé les protocoles à Zurich en Octobre 2009, en présence de représentants de la Suisse, des Etats-Unis, de la Russie, de la France, de l'UE, du Conseil de l'Europe. Une fois signé, la Turquie a posé des conditions préalables à la ratification.

Standard : Que s'est-il passé avec la partie turque ?

Nalbandian : Il faudrait le leur demander. Peut-être que rien ne s'est passé. Dans tous les cas, peut-être que ceux qui disent que vous ne pouvez pas avoir confiance dans la Turquie, sont d'accord avec cet argument.

Standard : Est-ce que le gouvernement turc se retirerait pour des raisons électorales ?

Nalbandian : Les Turcs ont tendance à penser que c'est seulement en Turquie qu'il y a des élections, et qu'il y a une opinion publique. Nous aurions en effet beaucoup plus de raison de parler de conditions préalables.

Standard : Dans quelle mesure l'Azerbaïdjan, allié de la Turquie et son fournisseur d'énergie, a saboté le processus de normalisation entre l'Arménie et la Turquie ?

Nalbandian : Tous les pays dans le monde ont soutenu ce processus, à une exception près : l'Azerbaïdjan. Je ne pense pas qu'il avait raison. La normalisation des relations aurait pu être bénéfique non seulement pour la Turquie et l'Arménie, mais pour toute la région. Et l'Azerbaïdjan fait partie de cette région.

Standard : Comment les protocoles de Zurich peuvent-ils redémarrer ?

Nalbandian : Il y a qu'une seule façon, et non plusieurs. Nous avons signé des protocoles, nous devons les ratifier et les mettre en œuvre - sans aucune condition préalable, selon le principe ‘pacta sunt servanda'.

Standard : Sera-t-il possible d'avancer une fois passées les élections législatives de Juin en Turquie ?

Nalbandian : Après les élections parlementaires, il y aura d'autres élections. Si vous cherchez des raisons de retarder la ratification vous pouvez toujours en trouver une. Je pense d'une part que la société turque est aujourd'hui plus favorable à la normalisation, et que d'autre part qu'elle est plus réceptive au sujet du passé. Le début des négociations et la signature des protocoles ont ouvert de nouvelles fenêtres. Pour la première fois le 24 Avril dernier, les gens se sont rassemblés dans les villes turques pour commémorer la journée du génocide arménien. Plus de 30.000 citoyens turcs ont signé la pétition demandant pardon au peuple arménien.

Standard : En regardant le conflit gelé du Haut-Karabakh depuis près de 25 années - quel danger cela représente-t-il pour le Sud-Caucase ?

Nalbandian : Les autorités azerbaïdjanaises passent leur temps à faire des déclarations belliqueuses et des provocations. En l'espace d'un an, elles ont doublé leur budget militaire et refusent les propositions de la communauté internationale pour parvenir à un accord sur le non-usage de la force, sur la consolidation du cessez-le feu, ou le retrait des tireurs d'élite de la ligne de contact. Je ne pense pas que quiconque puisse interpréter un tel comportement des autorités azerbaïdjanaises, et dire que c'est sans danger.

Standard : Mais prenez-vous ces déclarations belliqueuses, comme vous le dites, au sérieux ou ne sont-elles pas plutôt destinées à un usage interne de l'Azerbaïdjan ?

Nalbandian : La menace d'utiliser la force est une violation du droit international. Et l'absence de réaction adéquate à un tel comportement belliqueux peut entraîner de graves conséquences.

Standard : Dans quelle mesure le régime autocratique et sous-développé de la société civile peuvent-ils être une source d'instabilité dans la région ?

Nalbandian : Je serais plus prudent concernant des comparaisons de développement sociopolitiques entre les pays de la région. Alors que l'Arménie est une démocratie en développement, l'Azerbaïdjan est un régime autoritaire en développement. Il s'agit d'un point de vue exprimé par la plupart des organisations internationales et partagé par la plupart des experts.

Les médias et la société civile en Arménie sont activement impliqués dans les discussions politiques, ce qui est quelque chose d'inouï en Azerbaïdjan. Bien au contraire, la propagande d'État, parrainée de haine envers les Arméniens, entrave le processus de paix. Et l'esprit des jeunes générations est gâté de telle manière qu'il empêche une réconciliation future.

Les discours de compromis et de paix sont en général moins courants dans les pays autoritaires.

Standard : Maintenant, que pensez-vous du fait que l'Autriche ait ouvert qu'une seule ambassade dans la région, à Bakou et non à Erevan ou à Tbilissi ?

Nalbandian : Si je vous dis que j'en suis très heureux, me croiriez-vous ? Non. Nous avons ouvert notre ambassade à Vienne il y a plusieurs années, l'une des premières après l'indépendance. Je pense qu'il est grand temps pour l'Autriche de faire acte de réciprocité et d'ouvrir une représentation à Erevan. Notre objectif doit être de porter (anheben en allemand) nos relations à un niveau beaucoup plus élevé.

Standard : L'ancienne ministre autrichien des Affaires étrangères, Ursula Plassnik, est candidate au poste de Secrétaire Général de l'OSCE. Est-ce que l'Arménie compte la soutenir ?

Nalbandian : Nous n'avons pas encore pris de décision sur les candidats. Mais concernant le candidat turc, nous avons déclaré que nous ne pouvons pas le soutenir parce que les représentants turcs dans les différentes organisations internationales ont une approche biaisée et ne ratent jamais l'occasion de s'exprimer contre les positions de l'Arménie.

Standard : Qu'est-ce que cela implique pour les autres candidats et notamment pour Mme Plassnik ?

Nalbandian : Cela signifie qu'un autre candidat peut très bien être soutenu par nous ...

Standard : Comptez-vous réduire la liste [des candidats] ?

Nalbandian : Nous allons le faire - très bientôt.

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* Rencontre avec l'OSCE *


Marc-Perrin-de-Brichambaut-
Edouard Nalbandian a également rencontré le secrétaire général de l'OSCE Marc Perrin de Brichambaut. Les interlocuteurs ont discuté de questions liées aux différentes sphères d'activité de l'OSCE et échangé des points de vue sur la réforme de l'organisation.

Le ministre Nalbandian a déclaré que l'Arménie attachait une grande importance au rôle de l'OSCE pour assurer la sécurité et la coopération en Europe et qu'elle continuera de participer aux activités de l'organisation dans divers domaines.

À la demande du Secrétaire général, le chef de la diplomatie arménienne a présenté les derniers développements dans le processus de règlement du conflit du Karabakh avant la prochaine rencontre des présidents arménien et azerbaïdjanais à Sotchi à l'initiative de la Fédération de Russie.

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Le ministre Nalbandian a visité l'Académie diplomatique de Vienne, où il a prononcé un discours sur la politique étrangère de l'Arménie et sur les relations arméno-autrichiennes. Concernant le problème du Karabakh, le ministre Nalbandian a déclaré :

"Alors que l'Arménie parle de paix, l'Azerbaïdjan parle de faire la guerre. Alors que nous proposons d'aboutir à un accord sur le non-usage de la force, l'Azerbaïdjan se vante de l'augmentation de son budget militaire. Alors que la communauté internationale exhorte à renforcer le cessez-le-feu, l'Azerbaïdjan continue de violer la trêve des centaines de fois par semaine et fomente des provocations sur la ligne de contact. La communauté internationale déclare qu'il n'y a pas d'alternative autre qu'un règlement pacifique, et l'Azerbaïdjan insiste sur le fait que ‘règlement pacifique' ne signifie pas non-usage de la force.

Nous demandons aux organisations internationales et aux autres pays de soutenir les mesures prises par les Coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE et d'aider à la poursuite des pourparlers en vue de trouver une solution basée sur des concessions mutuelles. Azerbaïdjan appelle chacun à prendre une position anti-arménienne, ce faisant elle contrecarre les approches des Coprésidents du Groupe de Minsk et tente de déplacer les négociations sur des instances différentes, ce qui porte préjudice au processus de règlement.

On a l'impression que le seul but de l'Azerbaïdjan est de jeter la responsabilité sur la partie adverse.

L'Arménie a accepté les nouvelles propositions présentées en Juin à Saint-Pétersbourg, puis en Octobre à Astrakhan et enfin celles de Décembre à Moscou, en tant que base pour les négociations devant aboutir à un règlement pacifique. Cela signifie que la position de l'Arménie est sur la même ligne que celle de la communauté internationale, tandis que l'Azerbaïdjan propose constamment des changements sur un certain nombre de points. La communauté internationale attend une réponse claire pour savoir si ou non l'Azerbaïdjan approuve ou pas les propositions qui sont faites.

Nous espérons que l'Azerbaïdjan fera preuve de réalisme et de volonté politique pour permettre au processus de règlement d'aller de l'avant", a déclaré le Chef de la diplomatie arménienne.

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Avant de repartir, le ministre arménien a déposé une gerbe sur la tombe du célèbre écrivain autrichien Franz Werfel, auteur du livre "Les Quarante Jours de Musa Dagh."

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Public Radio de l'Arménie