L'après-Symposium d'Ankara sur le génocide

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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires

Pour un colloque qui s'est tenu en Turquie, la teneur des débats n'a rien à envier à des rencontres similaires qui se déroulent en Diaspora. Et ce notamment lorsque les sujets abordés portent sur l'après-génocide et les réparations qui en découlent. Et on comprend aisément pourquoi le colloque s'est déroulé à huis clos.

Force est de constater une nouvelle fois, que ce sont des non-Arméniens, en l'occurrence Turcs le plus souvent, qui ont défendu âprement le principe des réparations et des revendications diverses, alors que certains de nos compatriotes vivant en Turquie se sont montrés ‘timorés', pour ne pas dire plus. Atavisme, sans doute lié à la peur des représailles. Mais alors, pourquoi participer à ce genre de réunion ?

Quoi qu'il en soit, on ne peut que se féliciter que des universitaires, des intellectuels, des syndicalistes et des représentants de partis politiques, même s'ils ne sont pas nombreux, aient bravé les interdits. Cela ne peut que nous inciter à persévérer pour qu'un jour l'Etat turc change sa position sur les ‘événements' de 1915 et rende enfin justice au peuple arménien.

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** Avant-propos **

Le 24 avril, dans le cadre des manifestations liées à la commémoration du génocide qui se sont déroulées dans divers lieux d'Istanbul, un colloque novateur de deux jours sur le génocide arménien s'est tenu à l'Hôtel Princess d'Ankara. C'était la première fois qu'une conférence sur le génocide arménien n'accueillant pas les négationnistes de tout poil, avait eu lieu à Ankara. En outre, la conférence ne s'est pas contentée du seul l'aspect historique de 1915 ; mais également pour la première fois en Turquie, une partie substantielle des débats a été consacrée à des sujets tels que les biens arméniens confisqués, les réparations et les défis pour aller de l'avant et affronter le passé en Turquie.


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Voici le compte-rendu de clôture du colloque, préparé et lu par Yucel Demirer. La traduction du turc a été faite par l'équipe de l'hebdomadaire arménien.

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""Après deux jours de débats intenses, fatigants, mais productifs, nous voici à la fin. Je veux commencer par remercier tous les contributeurs, les institutions, et les groupes, et plus particulièrement Sait Cetinoglu et Mahmut Konuk, et j'insisterai sur la vive émotion ressentie à la veillée pour les victimes du génocide, à Ankara le 24 avril 2010.

Il est important de dire quelques mots sur les péripéties de nos organisateurs alors qu'ils préparaient la réunion, afin de comprendre le processus. Notre réunion a été organisée par des bénévoles. En Novembre 2009, nous avons réservé la salle, et en Décembre avons payé la location. Toutefois, une semaine avant la réunion, nous avons été informés qu'on ne nous laisserait pas utiliser la salle parce qu'elle était en ‘réparation'. Ce qui doit faire retourner Teoman Ozturk dans sa tombe (nom de la salle). Nous avons été confrontés à une difficulté similaire concernant la salle où nous sommes aujourd'hui. Il fallait d'abord annoncer que nous avions annulé la réunion. Ensuite, on a recommencé, et hier, nous étions devant vous avec les participants que nous avons pu réunir.

Je sentais que devais dire cela pour souligner la continuité dans les politiques de l'État, plutôt que de se plaindre.

Notre réunion a été importante, comme a souligné Fikret Baskaya, car cela a permis de mettre le sujet au niveau de gens vraiment ordinaires et détenteurs [de la vérité], comme nous. Cela a été un pas modeste mais important pour contribuer à l'histoire commune honorable des peuples contre les historiens officiels, dont la mission est de noircir et de polir.

Comme Oran Baskin a dit dans son discours, ils sont complexes, mais le problème a des aspects qui sont liés entre eux. Même si nous ne sommes qu'au début du processus de compréhension et d'interprétation des massacres et progressant que par un effet domino, comme Oran l'a exprimé avec : "celui qui a été frappé en Anatolie, a frappé les Arméniens", le colloque d'Ankara a été également important parce il a souligné les possibilités de critiques académiques et sociales.

Comme il a été indiqué dans la réunion de deux jours, pour comprendre le processus, les facteurs internes et externes doivent être examinés avec sérénité et séparément. Le passeport honteux ‘à sens unique' par exemple, auquel Adil fait référence ne devrait pas être considéré simplement comme un problème du passé, comme le dit Mahir Sayin : "il doit être étudié sous tous les aspects qui nuisent à notre psychologie collective". Ce qui sous-entend qu'il est nécessaire aujourd'hui de garder nos frères kurdes loin de ce que les Arméniens ont rencontré dans le passé ...

Dans la deuxième session, Besikci a attiré l'attention sur les archives fétiches, et a insisté sur un point méthodologique crucial sur sa déduction que l'ordre de massacrer dans deux prisons dans les années 1990 ne se retrouverait pas dans les archives en 2080.

Sait Cetinoglu a traité de l'éternelle question de la continuité et la discontinuité entre les mentalités de l'Empire ottoman et celles de la République turque, qui sont généralement examinées à un niveau abstrait, au niveau des continuités des dirigeants avec des exemples à la clé.

Tuma Celik, de l'Union assyrienne d'Europe, a parlé de la victimisation passée et actuelle des personnes autres que les Arméniens, et nous a profondément ému quand il nous dit comment il a dû changer son nom en Tuma au lycée.

Les remarques de Besikci sur la façon dont les historiens officiels ont usé et abusé des archives, ont fait l'objet de la troisième session de l'après-midi par les jeunes chercheurs Mehmet Polatel et Asli Comu. Polatel a discouru de la manière dont les ‘propriétés abandonnées' (emval-i metruke) ont été pillées, à qui elles ont été attribuées, et la façon dont le capital a été turquifié. Comu, sur la base de documents d'archives, a précisé comment et à qui les propriétés arméniennes ont été attribuées à Adana, Tarsus et Mersin.

Le deuxième jour, dans l'affiche intitulée "Le problème arménien : Que faire et comment le faire ?", Khatchig Mouradian a commencé son exposé en déclarant qu'il n'était pas possible de définir le peuple turc comme un bloc monolithique, et a souligné que le génocide de 1915 devrait être examiné comme une question de justice plutôt qu'une question de démocratie. Il a noté que, contrairement à l'opinion courante, les excuses et la réparation ne sont pas sources de division des peuples, mais constituent plutôt le début d'une relation saine.

Ragip Zarakolu a commencé par parler des gens de Marache et de Diyarbakir qu'il a rencontré à Sao Paulo, puis a déclaré que les Arméniens de la Diaspora, qui sont toujours considérés comme un problème en Turquie, en fait, sont un bon reflet pour la Turquie et réfutent les généralisations erronées. Zarakolu a déclaré qu'en Turquie, les institutions et les Commissions qui s'intéressent au problème arménien sont gardées secrètes, alors qu'elles devraient être portées au grand jour.

Henry Theriault a apporté de nombreux exemples à travers le monde de confrontations et de présentations d'excuses, et a discuté des effets négatifs de la négation du génocide sur de larges pans de la société. Il a fait valoir qu'il a eu tort de considérer les influences politiques de l'Arménie et de la Turquie comme égales, et que la seule façon de faire de réels progrès politiques a été faite par le biais des réparations pour les victimes du génocide.

Eilian Williams a parlé du processus de formation de l'opinion publique dans les petits pays européens, et a souligné les préjugés qui ont été insérés dedans, et qu'à partir de la culture et du folklore on peut en tracer le chemin, ce qui a été un rappel important pour la recherche future.

Sevan Nichanian s'est opposé à l'opinion de Theriault sur les réparations, et a déclaré qu'en tant que citoyen payant des impôts en Turquie, l'indemnisation par les arrières petits-enfants n'était pas une solution. Il a attiré l'attention sur le fait que le crime est personnel, et a fait valoir que de telles exigences ne seraient pas favorables au processus, mais nuirait plutôt aux chances de vivre ensemble dans ce pays. Nichanian a suggéré, au contraire, que des gestes symboliques et moraux comme renommer la rue Halaskargazi en rue Hrant Dink devraient être prises. Il a déclaré que la compréhension peut être atteinte par une lecture socio-économique du processus.

Temel Demirer a commencé son exposé avec mots de Arat Dink : "il y a cent ans nous étions la proie, maintenant nous sommes l'appât" et a affirmé que la réalité des massacres a été une préférence standard dans l'histoire de l'Etat et ne pourrait être traitée uniquement qu'avec la confrontation de l'idéologie officielle. Il a précisé que la république a été fondée par des exilés à Malte, et ce en utilisant les capitaux confisqués après le génocide. Il a qualifié le déni comme une attitude permanente pro-Ittihad de la République turque, et a conclu que la solution serait un affrontement radical et le soutien mutuel des peuples.

Harry Parsekian, fils d'un immigrant de 1911 aux États-Unis, a déclaré qu'il n'avait pas à blâmer la population turque et que la compréhension mutuelle était nécessaire, mais que, sans des excuses officielles le processus s'arrêterait.

Sarkis Hatspanian, qui a connu les prisons d'Arménie, a déclaré qu'il avait une vision du génocide basée sur la destruction et la négation, et que le génocide a été avant tout l'élimination de l'idée d'une Arménie, considérée comme un obstacle à l'expansion turque.

Recep Maracheli a étudié le rôle des Kurdes dans le génocide arménien dans ses créations d'affiches. "Même si les Kurdes n'ont pas participé à la planification et au processus décisionnel," a-t-il indiqué, "ils n'étaient pas que de simples collaborateurs, mais faisaient partie d'une alliance stratégique avec les comités du génocide, une alliance qui avait un arrière-plan historique."

Dans son exposé, Garbis Altinoglu a souligné que le problème turco-arménien avait des racines profondes et très complexes, et qu'il serait impossible de confronter les auteurs du génocide sans contester et combattre les manifestations de persécution sur la base nationale et l'injustice sociale.

A la séance de clôture, Tayfun Isci, Ali Ulger du Journal Kizilbas, Zeynel Sabaz du Journal Kaldirac, Barista Erdost du Parti Social-démocrate, Kenan Ozyurek représentant le Partizan, Cemal Dogan de la Fédération des Peuples Démocrates, Mustafa Kahya du Parti Socialiste, Nur Yilmaz du Journal Alinteri, Yasar Batman, Huriye Sahin, et Mahmut Konuk de ‘Initiative Liberté de Pensée d'Ankara', ont pris la parole.

Durant ces deux jours, même si il y a eu des intervenants qui ont qualifié les massacres d'Arméniens autrement qu'un génocide, la majorité des organisateurs du colloque et des intervenants les ont décrit comme un génocide, et ont souligné la nécessité de dépénaliser le mot ‘génocide', pour que l'Etat puisse faire face à cette réalité et assumer ses responsabilités, et pour une constitution démocratique qui mettrait fin à des approches simplistes et traiterai toutes les différences sur un pied d'égalité.

Les participants ont déclaré que le problème arménien avait un arrière-plan historique qui va au-delà de la question "Que s'est-il passé en 1915 ?", et que sa solution proviendra de la dynamique évolutive de l'histoire sociale, et non par l'ingérence de l'UE ou des États-Unis, mais par les peuples eux-mêmes, selon le principe de la bourse des peuples. Et ils ont exprimé l'espoir qu'il n'y aura plus de génocides en Turquie.""

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Armenian Weekly