De l'assassinat de Hrant Dink à l'affaire Ergenekon

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

L'histoire n'est qu'un éternel recommencement, surtout lorsqu'on met un Etat face à ses responsabilités. La mémoire devient alors sélective. [1]

Parmi les dirigeants turcs, qui s'en souvient encore ? Ou plus exactement qui désire ne pas s'en souvenir ?

Alors, il est très facile pour un gouvernement, qu'il soit de droite ou de gauche, laïc ou religieux, de trouver des boucs émissaires et de jeter la faute sur les autres.

Dans une démocratie, c'est au contre-pouvoir de faire jaillir la vérité. Dans la ‘Sublime Porte' du 21ème siècle, il est difficile de passer à travers les mailles de l'article 301 du code pénal.

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Les parlementaires de la Commission des droits de l'homme ont envoyé un rapport sur la négligence présumée de certains membres des services de police et de gendarmerie dans l'assassinat du journaliste Hrant Dink au Bureau du Procureur de Trabzon.
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Comme l'enquête l'a prouvée, il est vite devenu clair qu'il fallait chercher plus haut les vrais responsables. La famille de Hrant Dink et ses avocats affirment que le complot visant à assassiner Hrant Dink a mûri sur une longue période et qu'un certain nombre d'officiers de gendarmerie et de la police étaient au courant de ce qui se tramait. Les preuves sur cette accusation ont été produites devant le tribunal.

(…)

Huit officiers militaires, la gendarmerie de Trabzon, ainsi que le chef de bataillon, le colonel Ali Öz, ont été inculpés de négligence devant la deuxième Cour de Trabzon. Le Col Öz sera jugé par la première Chambre criminelle de Trabzon.

Le Bureau du Procureur de Trabzon, s'efforce toujours de compléter les procédures manquantes comme exigé par le tribunal de Rize.

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Je pense que l'affaire Ergenekon, c'est comme les Cours martiales surnommées Divan - Harbi Orfi Mahkemeleri -, qui ont jugé les responsables des massacres d'Arméniens. La presse a été aussi scindée en deux à l'époque. La presse libérale menée par le quotidien Sabah était appelée ‘presse armistice', parce que, comme le quotidien ‘Taraf', elle publiait les minutes des procès. En face, on avait les médias proches du gouvernement Jeunes-Turcs (Comité Union et Progrès), très bien organisés et très influents, qui comme aujourd'hui sont proche du gouvernement et donc pro-Ergenekon. À l'époque, ils ont fait tout leur possible pour protéger les officiels de toute éclaboussure, ils ont menacé des juges et des suspects et ont lancé des campagnes de dénigrement, ils ont exploité les sentiments de turquicité et de nationalisme. Enfin, en 1922, quand ils ont réalisé que la communauté internationale n'allait pas garder trace de la question arménienne, les tribunaux ont été abolis. La Turquie a perdu la possibilité de redémarrer en faisant table rase. Pendant 90 ans la Turquie a tenté de saisir une opportunité.

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Extraits de Today's Zaman




[1] Au lendemain de la première guerre mondiale, à la demande des Alliés, des tribunaux turcs ont jugés les responsables du génocide des Arméniens.
A l'issue de la Première Guerre Mondiale, plutôt que de laisser aux Puissances victorieuses comme à Nuremberg 25 ans plus tard le soin de juger les responsables du génocide des Arméniens, les libéraux turcs décidèrent de prendre les devants et d'entamer une procédure judiciaire. Le gouvernement libéral turc qui succéda au gouvernement unioniste décida le 16 décembre 1918 la création de Commissions d'enquête pour l'instruction et le jugement des massacres des Arméniens ainsi que pour la recherche des responsabilités d'entrée en guerre. Le 8 mars 1919, par ordonnance impériale du Sultan Mehmet VI, les responsables et chefs du parti Progrès et certains ministres sont arrêtés et déférés devant la Cour Martiale de Constantinople. Les principaux responsables sont cependant en fuite en Allemagne et d'autres ont été exilés sur l'île de Malte par les Britanniques dans l'attente d'un jugement. Dès le 8 janvier 1919, trois Cours Martiales furent formées à Constantinople. Après la victoire des forces kémalistes, les procès furent suspendus le 13 janvier 1921.
- Procès des membres du Comité central du parti Union et Progrès, des ministres et d'autres responsables centraux Le jugement est rendu le 5 Juillet 1919. L'accent étant placé sur les massacres des Arméniens et la confiscation de leurs biens, la responsabilité des membres du gouvernement et du parti en ce qui concerne les entorses a la Constitution et l'entrée en guerre de la Turquie à coté de l'Allemagne sans prendre l'avis du Parlement. Furent condamnés à la mort Talât pacha, Enver pacha, Djemal pacha et Dr. Nazim, sur la base du 1er paragraphe de l'art 45 du code pénal turc. et sur la base du par 2 du même article et l'article 55, furent condamnés à l'exil pour 15 années, Cavid, Mustafa Cheref et Moussa Kiazim.