La presse américaine et le conflit du Karabakh

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
Toutes les grandes puissances que ce soit les Etats-Unis, la Russie ou l'Union Européenne ont des intérêts dans la région du Sud-Caucase, ils jonglent avec les parties en conflit pour que la situation ne dégénère pas.
L'UE est intéressée par la mise en service prochaine du gazoduc Nabucco entre la mer Caspienne et l'Europe, et une situation pacifique lui permet de plus de mettre en œuvre sa ‘politique de voisinage' à travers ‘le partenariat oriental'. Cette politique l'approchera géographiquement du Proche-Orient où elle aimerait jouer un rôle plus important. Rôle qui n'est pas pour tout de suite par manque de direction et d'unité politique mais également d'unité militaire.
La Russie considère, à tort ou à raison, le Caucase comme sa chasse gardée. Elle a pour elle la proximité des lieux et les vestiges de 70 ans de présence soviétique. Elle, comme tous les autres, est fortement intéressée par les hydrocarbures du pourtour de la Caspienne et pas seulement pour des raisons économiques. Il faut ajouter à cela un élément très important : la dimension géostratégique et les enjeux géopolitiques du Proche-Orient voisin.
Cette dimension est la raison principale de l'intérêt des Etats-Unis. Se trouvant à plus de 9000km, ils ne sont pas partie prenante des richesses de la Caspienne mais tiennent à la stabilité de la région car à proximité se trouve la Turquie, précieuse alliée et membre de l'OTAN. De même que le Caucase est la chasse gardée de la Russie, Washington considère le Proche et le Moyen-Orient comme la sienne. Indépendamment des richesses pétrolières du Golfe, il y a là ses pourvoyeurs de fonds et ses clients arabes, mais également les pays ‘terrains de jeux' pour ses militaires, ‘jeux' qui commencent à coûter cher au Trésor américain.
Si la guerre reprend au Karabakh, l'onde de choc se propagera automatiquement aux pays voisins.
* Brève azérie *

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L'ambassadeur d'Azerbaïdjan de Téhéran a remis une note de protestation au ministère des Affaires étrangères pour les propos tenus par le chef d'Etat-major militaire iranien, Hassan Firouzabad sur l'utilisation par l'Azerbaïdjan du facteur islamique, qui semble aussi naturelle qu'une rebuffade de la politique de l'Occident. On attend des développements intéressants qui vont augmenter la pression occidentale sur l'Iran, ce qui influencera les relations avec l'Arménie.
"L'Azerbaïdjan est un pays ‘Aran' et ce pays est donc ‘aranien', dans les veines du peuple iranien coule du sang iranien," avait déclaré le Général Hasan Firouzabad, critiquant les actions du gouvernement [azéri] contre les principes de l'Islam. Il avait prédit de plus un sombre destin pour Ilham Aliev.
Comme prévu, l'Azerbaïdjan a réagi de façon quasi-hystérique : "Nous ne permettons à personne de s'ingérer dans les affaires intérieures de la République d'Azerbaïdjan" a répliqué le représentant officiel du ministère des Affaires étrangères azéri, Elkhan Polukhov.
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* le Washington Post fait un reportage dur le Karabakh *
"Le Haut-Karabakh : c'est là que la première guerre fut déclenchée suite à l'effondrement de l'Union soviétique, et c'est peut-être là aussi que la prochaine éclatera. La reprise de la guerre dans le Haut-Karabakh sera un grand désastre pour toutes les parties, sauf si c'est une guerre-éclair. Tous les concernés sont du même avis sur cette question," écrit le correspondant du ‘Washington Post', Will Englund, qui a dernièrement consacré trois articles sur le sujet. Le journaliste a visité la République du Haut-Karabakh, a eu des entretiens avec le président Bako Sahakian, le Premier ministre Ara Haroutiounian, des hauts fonctionnaires et des représentants de la société civile.
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"Les deux côtés sont beaucoup plus lourdement armés qu'en 1991, en particulier l'Azerbaïdjan. Il sera très difficile pour les pays importants de la région - l'Iran, la Turquie et la Russie - de rester en dehors du conflit, et impossible de confiner les combats seulement dans le Haut-Karabakh. De plus c'est un itinéraire d'approvisionnement majeur, utilisé par les Etats-Unis pour ses troupes en Afghanistan, qui serait perturbé."
"Chacun d'entre nous partage le souhait commun de ne pas permettre une reprise de la guerre. Mais les parties ont-elles la même volonté politique ? " mentionne Englund, citant le coprésident américain du Groupe de Minsk, Robert Bradtke.
"L'Azerbaïdjan déclare formellement qu'il ne cédera jamais ce territoire. Et la population du Haut-Karabakh déclare qu'elle n'abandonnera jamais son droit d'autodétermination. Depuis deux décennies, les deux parties maintiennent des passions enflammées, qui s'avère être une bonne politique pour les grands."
"Nous n'avions rien, et à partir de rien nous avons créé quelque chose", déclare Gallia Arstamian, dont le fils Grigori a quitté l'armée soviétique, pour qu'il puisse rentrer chez lui et se battre. Il a été tué. Aujourd'hui, elle dirige un musée dédié aux morts. "Nous allons vivre et prouver au monde que le Karabakh est le cœur et l'esprit de la nation arménienne. La terre sur laquelle nous vivons est devenue sacrée du sang de nos martyrs. Nous ne sommes pas reconnus, mais nous sommes encore là. Nous ne demandons rien au monde."
"La plus forte chose qui nous retient ici, c'est notre foi. En Artsakh, nous avons 70.000 Abrahams. Nous sommes pleinement conscients que tous les jours nos enfants risquent d'être sacrifiés. Mais nous vivons encore ici, donnons toujours naissance à des enfants. Et nous pensons que c'est la principale garantie de notre sécurité," a souligné de son côté le Premier ministre Ara Haroutiounian.
Sevan Boghossian ancien représentant de l'Artsakh aux Etats-Unis, qui dirige maintenant un groupe de réflexion en Arménie, indique que pour l'Azerbaïdjanais la définition de la ‘sécurité' intègre la restauration de l'autorité de l'Azerbaïdjan sur le Karabakh. Alors qu'en Arménie, les gens pensent que la sécurité viendra d'un règlement international du conflit, suivi d'une reconnaissance diplomatique du Karabakh. Pour le Karabakh, l'attitude se traduit ainsi : "non reconnus ? Et alors ? Mon fils est mon meilleur maintien de la paix. Ce qui est à moi est à moi."
Monsieur Boghossian pense que la guerre sera inévitable et qu'il faudra un ‘second round' pour extirper le poison.
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* Comment les Etats-Unis voyaient l'évolution de la Turquie en 2010 *

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En discutant des attentes des Etats-Unis vis-à-vis de la Turquie suite aux sanctions de l'ONU ou des Etats-Unis imposées à l'Iran, l'ancien ambassadeur américain en Turquie, James Jeffrey, dans un câble de 2010 au département d'Etat, publié par Wikileaks, déclarait : "la question iranienne aura un effet profond sur relations USA-Turquie seulement si les protocoles sont ratifiés prochainement."
Après que la Turquie ait refusé de ratifier les dangereux protocoles, les Etats-Unis ont rapidement indiqué que la ‘balle proverbiale' était maintenant dans le camp de la Turquie. La déclaration reçue beaucoup d'attention quand le secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a visité l'Arménie et a fait cette déclaration lors d'une conférence de presse locale.
Les cercles du département d'Etat et les officiels ont publiquement et en privé, repris ce point, croyant fermement que les protocoles avaient été mal conçus et étaient la seule façon de répondre au différend séculaire turco-arménien, y compris le génocide arménien.
Jeffrey indique aussi que "nos défis majeurs [les Etats-Unis] dans les mois à venir portent sur la direction des relations turco-israéliennes, le sort des protocoles avec l'Arménie, et la position turque vis-à-vis de l'Iran."
Sur un ton très franc, Jeffrey délimite les obstacles et les défis auxquels sont confrontées les relations avec la Turquie, avec un parti AKP qui renforce ses positions et qui agit comme un levier au sein du gouvernement turc et la société.
Jeffrey reconnaît que la Turquie poursuit une politique "néo-ottomane" et cite un discours prononcé par le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, à Sarajevo à la fin de 2009, dans lequel M. Davutoglu affirmait que les Balkans, le Caucase et le Moyen-Orient étaient mieux sous le régime ottoman ; "Nous allons rétablir ces Balkans (ottomans)," avait-il déclaré.
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Extrait de Radiolour, de Panorama et de Asbarez