La Turquie et les droits de l’homme


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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Il ne se passe pas une semaine sans qu’Ankara fasse parler de lui dans sa marche fictive vers les valeurs démocratiques. Dernier événements en date, la rafle d’un grand nombre d’intellectuels et non des moindres. Que peut-on attendre d’un pays qui intente un procès contre son prix Nobel de littérature pour propos non-conformes à la thèse officielle ? Que peut-on attendre d’un pays qui occupe militairement un de ses voisins depuis 37 ans et fait le blocus d’un autre depuis 18 ans ? Que peut-on attendre d’un pays qui a l’insigne honneur d’être le premier Etat génocidaire du 20ème siècle et qui continue de s’enferrer dans son négationnisme ?

A priori pas grand-chose. Il existe nombre de pays à travers le monde et notamment autour du Golf, où les notions de démocratie, de libertés ou de droits de l’homme sont bafouées voire tout bonnement inexistantes. Leurs grandes différences avec la Turquie, c’est qu’ils ne veulent pas paraître autrement que ce qu’ils sont. La Turquie, elle, se prend pour un pays héritier de l’Europe – vu qu’elle fut son ‘homme malade’ à l’époque où sa Porte était Sublime  -, tient absolument à se donner l’apparence d’une démocratie, et veut jouer dans la cour des Grands en bénéficiant de leurs droits mais surtout pas de leurs devoirs.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale et la création des deux blocs,  les Etats-Unis lui ont confié un rôle important par OTAN interposé. Rôle qu’elle continue d’assumer malgré la disparation de l’URSS mais grâce à l’apparition des Ayatollahs. Pour preuve la récente décision d’installer une station de radar. Seulement voilà, l’AKP et son Chef de file Recep Tayyip Erdogan, flanqué de son éminence grise Ahmet Davutoglu, n’ont plus rien à voir avec leurs prédécesseurs du MHP ou du CHP qui travailleraient main dans la main avec l’Armée et l’Etat profond et restaient des valets de Washington.  

Depuis leur adhésion au G20 et un taux de croissance qui se maintient très haut malgré la crise, l’équipe néo-ottomane du ‘zéro problème avec les voisins’ commence à avoir la folie des grandeurs. Elle devrait lire à ses moments creux les fables de la Fontaine et plus particulièrement : ‘La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le Bœuf’.


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* Le coin des experts *

* Hagop Chakerian

"J'aurais pu être tué à tout moment, mais ils ne m'ont pas tué, parce qu'ils ne veulent pas créer de nouveaux héros pour eux-mêmes,"  avait déclaré l’éditeur turc, Ragip Zarakolu, lors de sa visite en Arménie en Février dernier, ajoutant que les persécutions à son encontre avaient diminué.

Zarakolu a été arrêté avec 43 autres militants. Ils sont accusés d'appartenance et/ou d’avoir aidé et encouragé l’Union des Communautés Kurdes (KCK). Des écrivains connus, des journalistes et des avocats, des membres de ‘Paix et Démocratie’, tels Byursra Ersanli et Aziz Tunch, ainsi que son fils, Deniz Zarakolu, font partis de la rafle.

Le turcologue Hagop Chakerian a indiqué que Ragip Zarakolu était depuis très longtemps "sur la liste noire" des autorités turques pour sa lutte pour la reconnaissance du génocide arménien : "Le combat de Zarakolu pour la reconnaissance du génocide arménien, était désintéressé. Dans les années 1990, il parlait en public en utilisant le mot ‘génocide’, ce qui n’avait jamais été fait avant. Depuis, neuf plaintes ont déjà été déposées contre lui."

Il a souligné que ces arrestations n'ont pas trouvé grand écho dans la communauté internationale, comme ce fut le cas avec Orhan Pamuk : "Il est surprenant que ceux qui ont activement défendu Orhan Pamuk ou Hrant Dink, gardent le silence aujourd’hui. Seule les ONG ‘Solidarité avec les Journalistes Arrêtés et Liberté d’Expression’ et RSF ont protesté contre les arrestations."

Toutefois, un certain nombre de journalistes turcs se sont élevés contre l'arrestation Zarakolu, notant que : "Son arrestation a été un coup dur pour les efforts effectués vers une véritable démocratie, la liberté d'expression et la justice sociale."

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"L'ordre du jour de l'Assemblée nationale turque est surchargé avec les travaux sur une nouvelle constitution et le récent tremblement de terre de Van. Aussi, le débat sur la ratification éventuelle des protocoles est passé au second rang."

En outre en plus de la tension existante dans la région, l’activisme kurde s’est intensifié à l’intérieur du pays. "Le printemps arabe est devenu l'hiver, et dans les pays où des révolutions ont lieu, la paix reste précaire et le renversement du pouvoir ne signifie pas forcément démocratie."

"La Turquie n'est pas intéressée par le problème du Haut-Karabakh. Le seul souhait de ce pays est de voir l'Arménie se retirer. En 1991, un journaliste de ‘Milliyet’, avait parlé d’un document posant trois conditions préalables pour normaliser les relations turco-arméniennes :
-      Ne jamais mentionner le génocide arménien de 1915,
-      Que les Arméniens d'Artsakh acceptent la décision de l'Azerbaïdjan,
-      Que la diaspora arménienne cesse son activité antiturque,

ajoutant que si Arménie ne prenait pas en compte ces points, la position de la Turquie resterait ferme et la situation inchangée."

Selon l’expert, la Turquie continuera sa politique de négation du génocide arménien car sa reconnaissance signifierait revoir l’histoire officielle de la Turquie moderne, et apprendre que les fondateurs de la République étaient des meurtriers. "Il est donc tabou de parler de l'activité réelle de Kemal Atatürk ou du génocide arménien pour éviter que la population n’apprenne la vérité. Pas plus qu'il n'est nécessaire d'accuser Israël, qui ne reconnait pas le génocide arménien. Il est confronté à une question de sécurité nationale qui est reste toujours précaire. En envahissant ses voisins en six jours, Israël a échoué à assurer la sécurité de sa propre population. La situation en Israël est plus grave."

* Sabine Freizer

"Ankara a des idées très intéressantes concernant la résolution du conflit du Karabakh. Si la Turquie veut apporter sa contribution aux négociations sur le conflit, elle doit la faire avec une approche positive. Si elle veut jouer un rôle positif dans la région, il faut d'abord qu’elle normalise ses relations avec l'Arménie, et ouvre la frontière turco-arménienne. Dans le cas contraire, toutes les autres suggestions de la Turquie resteront lettre morte, " a déclaré à Bakou la directrice du programme Europe du Groupe Crise Internationale, Sabine Freizer.

Mme Freizer a souligné qu'aucune amélioration sérieuse vers une résolution du conflit, n’était à attendre dans les deux prochaines années :"Des élections sont prévues dans les pays coprésidents - Russie, Etats-Unis et France - dans les deux prochaines années (1). Par conséquent, je pense qu'il est peu probable qu'il n’y aura aucune progression dans les négociations."

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* Brève Etats-Unis *
"Les Etats-Unis sont des ardents défenseurs de la liberté d'expression en Turquie et dans tous les pays du monde. Nous ne voulons pas commenter cet événements avant [les décisions] des tribunaux," a déclaré la porte-parole du Département d’Etat, Victoria Nuland, lors du briefing quotidien.

"Nous demandons instamment que l'accusation procède de façon transparente, et que tous les accusés soient assurés d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans un délai raisonnable," a-t-elle ajouté.

* Brève Karabakh *

Le 4 Novembre, conformément aux accords avec les autorités de la RHK et de l’Azerbaïdjan, la Mission de l'OSCE a effectué sa surveillance périodique sur la ligne de contact du côté d'Askeran entre les forces de la RHK et celles azerbaïdjanaises.

Durant le suivi, aucune violation du régime de cessez-le-feu n’a été relevée.

A noter toutefois, que côté azéri, le groupe de surveillance de l'OSCE n’a pas été conduit au point initialement convenu sur la ligne de contact, et qu’il a dû procéder à sa mission à partir d'un site plus en retrait.

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(1) Ndlt : Auxquelles il faut ajouter celles prévues en Arménie en Février 2013 et en Azerbaïdjan en Octobre 2013. Donc il est fort probable que 2013 ressemble aux deux années précédentes.

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Extrait de Radiolour et de Armenpress