Pénalisation du déni des génocides


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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Par 126 voix pour et 24 abstentions, les sénateurs ont confirmé le vote des députés. Les motifs principaux des 86 sénateurs qui ont voté contre, portaient sur le fait que les lois mémorielles ne doivent plus être débattues par les parlementaires, que ce n’est pas au parlement mais aux historiens de qualifier l’historique et que ce faisant on se met à dos un grand pays, partenaire économique et stratégique dans cette région du monde. Bref le même argumentaire développé le 22 décembre 2011 à l’Assemblée nationale. Le seul problème c’est que ces élus, comme à l’époque un certain Georges Marchais répondant aux journalistes, ont répondu à des questions que le texte de loi ne posait pas, à savoir si le parlement français devait ou pas qualifier les massacres de masse de 1915 sous l’empire ottoman. Bref parler de sujets qui ont été débattus il y a onze, et que si anomalie ou anti-constitutionalisme il y avait, c’est à l’époque qu’il fallait monter aux créneaux.

On peut certes pousser l’analyse et disséquer les commentaires de chacun, mais c’est un débat de spécialistes qui n’intéresse pas forcément grand monde. On notera toutefois que si à peu près le même nombre d’UMP (57/132) et de PS  (56/130) ont voté pour ; la quasi-totalité des Centristes, ainsi que tous les Radicaux de Gauche et tous les Verts, ont voté contre. C’est vrai que punir un négationniste n’a effectivement rien d’écologique !

La morale de cette histoire, c’est qu’indépendamment des vagues  de commentaires passionnés, mais pas forcément passionnants, la Turquie est montée sur ses grands chevaux et que certains politiciens sont même carrément sortis de leurs gonds. Parler de liberté d’expression, de racisme, de droits de l’homme ou d’intolérance dans la bouche des dirigeants turcs prêterait à sourire si le sujet n’était aussi grave.

La morale de cette morale : Si au moment des hors-d’œuvre, la Turquie montre des signes manifestes d’indigestion, que se passera-t-il quand le plat principal arrivera en 2015 au centenaire du génocide arménien, accompagné de plusieurs autres pays qui auront suivi l’exemple de la France ?





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* Ils ont dit *

* Mevlüt Çavusoglu - APCE

"Aujourd'hui, la France a adopté une loi anticonstitutionnelle qui porte un coup à la liberté d'expression, cependant, il n'y a pas eu de pressions sur ce pays. Malheureusement, le Conseil de l'Europe et l'UE sont d'accord avec cette situation," a déclaré aux journalistes le président de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE), Mevlüt Çavusoglu, qui a terminé son mandat aujourd'hui.

"Le projet de loi adopté par le Parlement français, a été précédemment discuté en commission des loi du Sénat, laquelle l’a déclaré comme étant anticonstitutionnel. Mais la triste réalité est que la liberté d'expression est limitée au centre de l'Europe. Ceci est absolument contraire aux principes de base d'un Etat de droit en tant que droits de l’homme, que primauté du droit et la démocratie. Si l'Arménie, la Turquie, l'Azerbaïdjan, l'Ukraine et la Russie avaient présenté des projets de loi sur la négation du génocide à leurs parlements nationaux, alors imaginez qu’elle aurait été la pression exercée sur eux. "

Le président sortant s'est dit préoccupé car il y a deux poids deux mesures dans ce geste. "En tant que président de l'APCE, je n'ai pas fait de déclaration à ce sujet, parce cela aurait été présenté comme une déclaration faite par le président de l'APCE, d’origine turque. J'espère que l'Assemblée répondra au projet de loi et votera contre cela."

Cavusoglu a déclaré qu’il avait été demandé à la Turquie de supprimer l'article 301 du Code pénal, car contraire à la démocratie. La Turquie annulera cet article.

* Jean-Claude Mignon - APCE

Le nouveau président de l'APCE, Jean-Claude Mignon (PPE/DC), est également désireux de trouver des solutions aux conflits gelés, estimant qu'il est inacceptable qu’en 2012 il existe encore des murs en Europe.

"C’est aux historiens d’écrire l'histoire et non aux parlementaires. En tant que député français, je suis catégoriquement contre ce projet de loi. Je ne soutiens pas ce genre de projet de loi parce qu'il ne va pas résoudre le problème entre l'Arménie et la Turquie," a déclaré aux mêmes journalistes le nouveau président.

* Taner Akçam - Universitaire

"Je ne peux pas juger de l'implication pratique de cette loi pour la société française, mais c'est vraiment une grande victoire pour ceux qui combattent la négation du génocide au niveau international," a déclaré le Professeur Taner Akçam de l’Université Clark. Le premier universitaire turc à avoir condamné publiquement le génocide arménien de 1915 perpétré par l'Empire ottoman.

"Si nous voulons prévenir les génocides et les crimes de masse, si nous voulons accroître la sensibilisation contre les crimes de génocide et les crimes contre l'humanité, nous ne devrions pas permettre au régime négationniste d'intimider les nations démocratiques dans l'arène internationale. La Turquie doit comprendre que l'intimidation et la menace  ne sont pas le comportement d'un acteur international. La Turquie ne peut pas continuer avec des politiques nationales de répression envers sa propre histoire et ses minorités. Elle ne peut pas menacer d'autres pays d’exprimer sa manière de penser sur les événements de 1915 et dans le même temps prétendre être un membre des pays démocratiques du monde. Mon espoir est la Turquie tire la leçon de la décision française. Au lieu de menacer la France, la Turquie devrait faire son devoir et chercher qui est derrière l’assassinat de Hrant Dink, parmi les fonctionnaires de l'État pour la plupart, et qui circulent en toute liberté."

* Sevag Khatchadourian - CAA

À la lumière du texte récemment voté par le Sénat français, le Conseil des Arméniens d'Amérique exhorte les dirigeants du Congrès des États-Unis à honorer leur engagement à soutenir l'ensemble des citoyens arméno-américains en reconnaissant le génocide arménien, et notamment en votant la H-Res. 304.

"Nous célébrons cet événement mémorable en tant que nation, en tant que peuple, et en tant que partisans des droits de l’homme, nous demandons à nos législateurs de la Chambre des Représentants de réaffirmer leur soutien à la reconnaissance du génocide arménien. Le gouvernement français a pris position contre les dirigeants turcs, qui pendant des années, ont réussi à dicter leurs intérêts personnels au détriment des droits de l’homme et en plaidant la négation du génocide. Cette fois, la géopolitique de la Turquie et les menaces économiques n'ont pas été en mesure de compromettre le vote de la loi," a déclaré le président du CAA, Sevag Khatchadourian.

"Nous appelons également le président Obama à honorer son engagement à soutenir la reconnaissance du génocide arménien. Avec plus de nations soutenant officiellement cette reconnaissance et avec l'initiative courageuse prise par le gouvernement français, il est grand temps que le leader du monde libre et les membres du Congrès se battent pour la justice et représentent les Etats-Unis comme un brillant exemple de la démocratie et la bonne volonté ", a-t-il ajouté.

* Turquie

"Si le projet devient loi, elle aura des conséquences graves et à long terme pour le gouvernement français. La France perdra son partenaire stratégique," a menacé le Sous-secrétaire de l'ambassade turque à Paris, Engin Solakoglu.

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Le président de la Commission des Affaires étrangères du parlement turc, Volkan Bozkir a déclaré que "la France a ouvert la page noire de son histoire."

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Le ministère turc des Affaires étrangères a déclaré de son côté qu'Ankara prépare une réponse pertinente à Paris et a qualifié le vote du Sénat d’ «exemple d'irresponsabilité». La Turquie condamne cette décision douteuse et irresponsable et prendra toutes les mesures possibles pour la contrecarrer. Ainsi les autorités turques ont menacé jusqu’à rompre les liens diplomatiques la France en cas de promulgation de la loi.

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Quant au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, il a déclaré qu'il ne mettra plus jamais les pieds en France, si la loi devient effective.

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Selon le quotidien Milliyet, la Turquie compte rappeler son attaché militaire à Paris, priver d'accréditation l’attaché militaire français à Ankara, et réduire au minimum les liens diplomatiques avec la France. Sur le plan économique, Ankara va gêner la participation des entreprises françaises aux appels d'offres organisés par la Turquie, va interdire le survol de son espace aérien, ainsi que ses eaux territoriales au trafic français.

* Aram Hamparian - ANCA

"Le vote courageux d’aujourd'hui du Sénat français met en lumière de l’autre côté de l'Atlantique, les décideurs américains qui, pendant trop longtemps, ont laissé Ankara bloquer la reconnaissance du génocide arménien par les Etats-Unis," a déclaré le Directeur exécutif du Comité National Arménien d'Amérique (ANCA), Aram Hamparian.

"La pression internationale croissante sur la Turquie et plus près de nous, la reconnaissance du génocide arménien par 42 États américains, soulignent que le président Obama - qui a promis en tant que candidat de reconnaître le génocide arménien, qui a permis à un pays étranger d’imposer un bâillon – doit s’exécuter et faire reconnaitre par les Etats-Unis ce crime contre l'humanité. Nous marquons cette occasion en exhortant le Président Obama à honorer sa promesse en demandant à la Chambre américaine de permettre le vote sur la résolution sur le génocide arménien, H.Res.304."

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* Brève Karabakh *

Les Président Ilham Aliev, Dmitri Medvedev et Serge Sarkissian se sont réunis à Sotchi, ce lundi 23 Janvier. A l’issue de la rencontre au Grand Hôtel Poliana, une déclaration conjointe a été publiée sur les résultats des pourparlers portant sur le règlement du conflit arméno-azerbaïdjanais sur le Haut-Karabakh.

"Les présidents de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de la Fédération de Russie se sont rencontrés le 23 Janvier 2012 à Sotchi, à l'invitation du Président de la Fédération de Russie et ont discuté de la situation actuelle et des perspectives de règlement du conflit du Haut-Karabakh.

Les chefs d'Etat ont souligné qu’il restait beaucoup à faire pour régler le conflit du Haut-Karabakh et ont également souligné les progrès réalisés depuis leur première réunion du 2 Novembre 2008, au cours de laquelle la Déclaration de Moscou a été adoptée. Les Présidents ont déclaré qu’à la suite d'intenses négociations des progrès ont été réalisés sur les principes de base du règlement du conflit.

Prenant en considération l'importance de la transition vers un Accord de paix, les Présidents se sont déclarés prêts à accélérer la réalisation de l'Accord sur les principes de base.

Les deux présidents ont hautement apprécié les efforts de médiation de la Fédération de Russie et d’autres pays et ont exprimé l'espoir que la Russie, la France et les Etats-Unis continueront à jouer un rôle actif dans le règlement du conflit.

Les présidents ont réaffirmé que l'une des mesures de confiance pour le règlement du différend sur le Haut-Karabakh est le développement de contacts culturels entre les deux parties. Les Présidents se sont déclarés prêts à promouvoir le dialogue entre les intellectuels, entre les milieux scientifiques ainsi qu’entre les sociétés civiles."

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A l’issue de la rencontre, le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a indiqué :

"Les parties ont souligné la nécessité d'abandonner les vues extrêmes pour réaliser de nouveaux progrès. Les présidents se sont dits prêts à accélérer le développement de principes communs pour passer à l'élaboration d’un Accord de paix contraignant. La Russie va poursuivre ses efforts pour le rapprochement des positions des parties en conflit sous l’égide des médiateurs du Groupe de Minsk de l'OSCE. "


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Extrait de Radiolour et de PanArmenian