Des Turcs progressent, la Turquie régresse


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Traduction Gérard-Merdjanian - commentaires

Lorsqu’on cite les proverbes et maximes suivants,

-      "S'irriter d'un reproche, c'est reconnaître qu'on l'a mérité" (Tacite).
-      "Ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu'on vous fasse à vous-même" (Confusius)
-      "On voit la paille dans l'œil de son voisin, mais pas la poutre dans le sien" (Evangile selon St Luc)
-      "On ne contrefait sa propre signature mais sa nature" (Charles de Leusse)
-      "La vérité est que vous savez toujours ce qu'il faut faire. Ce qui est difficile, c'est de le faire" (Gal Norman Schwarzkopf)

On pense essentiellement à un pays : La Turquie.

Quand les Etats-Unis voient le refus systématique d’Ankara de ratifier les protocoles de normalisation des relations arméno-turques tant que le Haut-Karabakh ne sera pas ‘restitué’ à l’Azerbaïdjan, et reçoivent les menaces proférées par les dirigeants turcs dès qu’on aborde le problème du génocide ;
Quand l’Union européenne voit le non-respect par Ankara de sa signature concernant Chypre, Etat-membre de l’UE occupée par la Turquie depuis 1974. Que malgré son slogan ‘zéro problème avec ses voisins’, elle maintient le blocus de l’Arménie depuis 1994. Que malgré les milliards versés dans le cadre des négociations d’adhésion, il y a toujours autant de répression envers les intellectuels et les universitaires, que les mots ‘liberté’ ou ‘droit de l’homme’ n’ont pas le même sens outre-Bosphore et que l’on continue d’assassiner pour des motifs religieux ou de racismes ;
Quand la France, souveraine, vote un projet de loi concernant ses citoyens d’origine arménienne et que l’Etat turc, par l’intermédiaire de son ambassadeur, s’immisce et intervient directement par écrit auprès des parlementaires, le tout accompagné de menaces verbales, de sanctions et de propos injurieux envers les représentants du peuple français. Que Paris voit défiler dans ses rues des manifestants turcs avec leur drapeau national, en compagnie des Loups-Gris (extrême-droite turque), venus de toute l’Europe;

Et quand on sait que ces pays, qui sont au courant des moindres faits et gestes des pays du Caucase ou de la région en générale, déclarent avec diplomatie, sur ce qu’il a lieu de faire ou de ne pas faire, on finit par se demander s’ils croient réellement ce qu’ils déclarent.

Si toute vérité n’est pas bonne à dire, par moment il y a lieu de mettre les points sur les ‘i’. A tourner autour du pot, sans oser prononcer certains mots, le seul gagnant de ce petit jeu sera l’homme malade de l’Europe, malade de son histoire ottomane et malade de son nationalisme exacerbé.



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Ministre turc des Affaires avec l'UE et chef de la délégation turque, Egemen Bagis a récemment intensifié ses "attaques" contre l'UE, consciemment ou inconsciemment, poussant à plus tard la question de l’adhésion de son pays à l'Union. Dans les propos de Bagis, on peut facilement retracer la rhétorique néo-ottomane, vu que de telles déclarations, qui étaient «en vogue» à l'époque de l'Empire ottoman, font que la Turquie moderne se dissocie des valeurs européennes très imprudemment et très violemment, quand il s'agit de l'histoire.

Egemen Bagis considère Sarkozy et Merkel comme des opposants à l’entrée de la Turquie dans l'UE, ce qu’ils sont sur le principe.

Selon les mots du ministre turc : "Tous les obstacles de l'UE entravant l'adhésion de la Turquie seront éliminés en une journée. La France et l'Allemagne soutenaient l'adhésion de la Turquie à l'UE quand MM. Schröder et Chirac étaient au pouvoir. La situation dans l'UE peut de nouveau changer." Très probablement que Bagis espère que Nicolas Sarkozy ne soit pas réélu, et que celui qui a le plus de chances – le socialiste François Hollande - sera plus fidèle à Ankara. Cependant, la Turquie ne parvient pas à comprendre que si les temps ont changé, le pays aussi a changé, avec une forte envie de devenir un leader régional. En attendant, il est persuadé que l'UE ne veut pas voir la Turquie rentrer.

Quoi qu'il en soit, ce ne serait pas aussi indécent que sa déclaration vraiment scandaleuse sur l'annexion de la République turque de Chypre Nord (RTCN), non reconnue, à la Turquie. En fait, la Turquie ne se contenterait seulement de la partie Nord, mais souhaiterait toute l'île, dont la partie grecque est membre de l'UE. Il est peu probable que Paris et Berlin regardent cela en silence. Avec une telle démarche, si jamais cela devait arriver, la Turquie serait fixée quant aux sentiments de l'UE à son égard, et en effet, elle pourrait dire adieu à son adhésion à l'UE. Voici ce que Bagis a déclaré: "Bien que le monde ne reconnaisse pas la République turque de Chypre Nord, il y a deux états dans l'île avec les gouvernements distincts, les parlements, et les institutions concernées. Au cours des dernières années, des efforts ont été faits pour unir ces états. Bien que la RTCN soit d'accord avec le plan de l’ancien Secrétaire général, Kofi Annan, les Chypriotes grecs ont refusé ce plan lors du référendum. Sur cette base, les citoyens de la partie grecque de Chypre auraient été autorisés à entrer en RTCN. Les États membres de l'UE ont été interdits de commerce avec la RTCN, pas même à y pénétrer,  et l'isolement n’a pas été levé par l'UE. Toutes les options sont sur la table pour une solution au problème de Chypre. La solution [que la Turquie envisagerait] inclurait la réunification suite à un Accord-cadre que les deux dirigeants [de l’ile] signeraient avec la création de deux Etats indépendants ; s’ils sont incapables de parvenir à un accord de réunification, alors il faudrait envisager l'annexion de la partie turque [RTCN] à la Turquie."

Comme on peut le voir, Bagis, volontairement, n'a pas mentionné que la Turquie a fermé ses ports et ses aéroports à Chypre. Il convient également de mentionner la mise en place de relations israélo-chypriotes [grecques] et un travail commun d'ingénierie sur un gisement de gaz découvert au large des côtes de Chypre. Ankara est très sensible à toutes les initiatives d'Israël d’établir des relations avec les pays de la région, en particulier avec Chypre, mais jusqu'à présent aucune mesure sévère n’a été prise.

Le ministre turc ne parvient pas à parler du projet de loi pénalisant la négation du génocide arménien de manière posée et réfléchie, et profère des idées absurdes telles que : "le Président Nicolas Sarkozy a soutenu ce projet de loi pour obtenir les votes de ceux qui s'opposent à l'islam. Sarkozy sait très bien qu'il n’obtiendra pas les votes des citoyens d'origine africaine. Par conséquent, il a soutenu le projet de loi pour recueillir les votes de l'extrême-droite." Les citoyens français d'origine africaine sont plus nombreux que les Arméniens, et la plupart d'entre eux se fichent totalement de savoir si le projet de loi sur le génocide arménien passera ou pas.

Hélas, Ankara est réticent à le comprendre. Il aurait été beaucoup plus facile pour lui de reconnaître le génocide des chrétiens dans l'Empire ottoman et augmenter ses chances de devenir un membre à part entière de la famille européenne.

Karine Ter-Sahakian  (PanArmenian – Département Analyse)

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* Brève Etats-Unis *

"Nous continuons à chercher une solution au rapprochement arméno-turc. Il est impossible de préjuger si Hillary Clinton discutera des relations arméno-turques, du génocide ou sur les biens de l’église au cours de sa prochaine visite en Turquie. Nous soutenons fermement les efforts de la Turquie et de l'Arménie pour normaliser leurs relations bilatérales. La question fait partie intégrante de notre dialogue avec les plus hauts responsables turcs et arméniens," a déclaré le porte-parole du Département d'Etat américain, Mark Toner, lors de son briefing quotidien.

Lors de sa visite en Arménie, Mme Clinton avait mentionné que c'est à la Turquie maintenant de faire un pas vers la réconciliation : "La balle est du côté de la Turquie."

* Brève Arménie *

Le quatrième forum ‘Hay Dat’, s’est déroulé à Erevan en présence de 25 Comités de défense de la Cause arménienne provenant de 18 pays. Le forum de trois jours visait à élaborer le plan d'action pour les deux prochaines années, conformément aux décisions de la FRA-Dachnaktsoutioun.

Selon le député Vahan Hovannisian, la question la plus importante pour le parti est la Cause arménienne, toutes les autres sont secondaires. Ainsi, la diplomatie parlementaire est devenue plus active au cours des dix dernières années. Malgré la courte l'histoire de la diplomatie parlementaire, les délégations arméniennes sont représentées dans les assemblées parlementaires du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de l'OTAN, d’Euronest, de la CEI, etc.

Selon le membre du Bureau mondial, la diplomatie parlementaire comprend trois facettes indissociables : la situation économique en Arménie ; la reconnaissance du génocide arménien ; et la République du Haut-Karabakh. Aussi, il est nécessaire de trouver une formule pour présenter les trois questions dans un seul paquet : "Les Bureaux de la Cause arménienne doivent travailler comme si la politique étrangère a été développée par eux."

Il a également attiré l’attention des délégués à une plus grande vigilance aux résolutions adoptées par différentes structures. "Même si elles peuvent sembler inoffensives à première vue, elles peuvent poursuivre des objectifs à long terme," a-t-il ajouté.

Le représentant du Comité National Arménien de Jérusalem, Hagop Sevan, a indiqué que les protocoles arméno-turcs avaient porté un grand coup à leurs efforts pour mettre la question du génocide sur l'ordre du jour la Knesset. Toutefois, ils continuaient à travailler et espéraient réussir.

Le directeur du Bureau français de la Cause arménienne, Hratch Varjabedian, a explicité le cheminement et les difficultés rencontrées pour l’adoption de la loi de pénalisation du déni des génocides. "Nous étions sûrs que la loi serait rejetée si elle était soumise au Conseil constitutionnel, ce qui fut le cas." Le 29 Février la loi a été déclarée inconstitutionnelle. Selon les représentants de la France, le Conseil constitutionnel a pris une décision politique. Ils ont toutefois précisé qu’un nouveau projet de loi allait être préparé prenant en compte les remarques du Conseil constitutionnel.

* Brève Karabakh *

Le 29 Mars, conformément aux Accords, la Mission d’observation de l'OSCE s’est rendue sur la ligne de contact entre les forces armées  du Haut-Karabakh et celles de l'Azerbaïdjan, près du village de Kuropatkino dans la région de Mardouni.

Côté RHK, le suivi a été conduit par le Représentant personnel du Président en exercice de l'OSCE Andrzey Kasprzyk (Pologne), accompagné de Peter Kee (Grande Bretagne) et de Antal Herdich (Hongrie).

Côté opposé, l’équipe était composée de William Prior (Grande-Bretagne) et de Hristo Hristov (Bulgarie). A signaler toutefois que la partie azerbaïdjanaise n’a pas conduit la mission de l’OSCE sur la ligne de front elle-même, mais quelques kilomètres en retrait.

Si aucune violation du cessez le feu n’a été relevée au moment de l’inspection, le ministère de la Défense de la RHK rapporte que pendant la semaine écoulée, plus de 300 tirs azéris ont été comptabilisés.

* Le coin des experts *

* Ruben Safrastian

Une table ronde internationale sur "Le facteur turc dans le Moyen-Orient et dans l'espace postsoviétique" a eu lieu à Moscou il y a une semaine. Plus de 60 experts et journalistes ont participé à l'événement, 12 rapports ont été présentés.

Selon le turcologue Ruben Safrastian, la discussion sur les revendications turques fut une étape de grande importance politique. Les rapports présentés par des experts de différents pays ont révélé l'activité secrète de la Turquie. De plus, il attache une importance particulière au fait que Ruben Zargarian ait pris la parole comme représentant de la République du Haut-Karabakh.

Ruben Safrastian a laissé entendre au cours des débats que la Russie devait commencer à son tour le processus de pénalisation de la négation du génocide arménien.

La presse azérie a décrit les propos de l’expert comme une tentative de semer la zizanie dans les relations russo-turques.

* Manuel Goumachian et Anna Meguerditchian

"Si nous regardons la situation de fait, le Groupe Minsk de l'OSCE n'a pas rempli sa tâche principale à savoir : résoudre le conflit du Karabakh. Toutefois, il a réussi à maintenir la paix, et ce n'est pas rien," a déclaré le politologue Manuel Goumachian, de l'ONG l'Intégration Européenne.

La partie arménienne a déclaré à maintes reprises qu'elle ne voit pas le règlement du conflit du Karabakh en dehors du format du Groupe de Minsk de l'OSCE. On ne peut pas dire de même à propos de l'Azerbaïdjan, qui a utilisé et utilise toutes les possibilités afin de transférer le problème à d'autres podiums internationaux.

Pour la partie arménienne le problème se pose de la façon suivante :"Quel le sens y a-t-il à rechercher le meilleur des meilleures ?"

Pour la partie azerbaidjanaise le problème du Karabakh est un outil pour les autorités du pays à se maintenir au pouvoir.

"Quand il n'y a pas de liberté et de démocratie dans le pays, la crise interne s'intensifie. Les autorités utilisent l'image d'un ennemi extérieur pour éviter les conséquences dangereuses de celle-ci. De leur point de vue, critiquer le Groupe de Minsk de l'OSCE est plutôt bénéfique," a souligné l’expert.

Dans quelle mesure l'Azerbaïdjan est intéressé à changer le format du Groupe de Minsk ? La rédactrice en chef du centre analytique ‘Armedia’, Anna Meguerditchian est plutôt circonspecte sur ce point.

Le Commission des relations étrangères du Parlement européen a adopté récemment un projet de loi suggérant, entre autres, de remplacer la France par l'UE dans le Groupe de Minsk. Ce qui a donné lieu à des discussions et des analyses diverses. Selon l’analyste d’Armedia, il s'agit de perceptions subjectives, puisque le sujet porte sur un processus parallèle, et non pas sur un remplacement effectif.

* Brenda Shaffer

Le Dr Brenda Shaffer, le plus grand expert d'Israël sur l'Azerbaïdjan, pense hautement improbable qu'Israël ait vendu à l'Azerbaïdjan des drones et des systèmes de défense anti-aériens et antimissiles pour un montant de 1,6 milliards de dollars, en vue de se défendre contre l'Iran.

"Si l'Azerbaïdjan renforce ses systèmes de défense, c’est avant tout une démonstration de force destinée à l'Arménie. L'Azerbaïdjan est bordé par la Russie, l'Iran et la Turquie. Son économie est tributaire de l'exportation en toute sécurité de ses produits pétroliers, ce qui nécessite la stabilité régionale. Plus de 30% de la population iranienne est de souche azérie, aussi Bakou essaie de maintenir des relations amicales avec l'Iran. Il serait très imprudent de laisser croire à Téhéran que ces mesures sont dirigées contre lui. Car s’il y a un conflit avec l'Iran, il serait le premier à en souffrir," a déclaré l'expert au Guardian.

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Extrait de Radiolour et de PanArmenian