Rencontres Arménie-Azerbaïdjan

 

Commentaires et Traduction de Gérard Merdjanian

 

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Commentaires

 

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Les vice-Premiers ministres d'Arménie et d'Azerbaïdjan, Mher Krikorian et Shahin Mustafayev, se rencontrent aujourd'hui mardi 30 août à Moscou. C'est la réunion conjointe des commissions de délimitation et de sécurité des frontières. Les négociations porteront sur la mise en œuvre des accords techniques issues des réunion trilatérales (Arménie, Azerbaidjan, Russie) de Moscou des 9 novembre 2020, 11 janvier et 26 novembre 2021.



Mais l'événement principal aura lieu demain 31 août : les dirigeants des deux pays, Nigol Pachinian et Ilham Aliev, vont se rencontrer à Bruxelles par l'intermédiaire du président du Conseil européen Charles Michel. La principale question non résolue sera de savoir si Erevan et Bakou sont prêts à signer un traité de paix et à tirer un trait sur le conflit vieux de plus de 30 ans.



Le quotidien russe Kommersant analyse les positions, avec les points forts et les points 
de chacuns

 

 

 

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Traduction

 

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Le déplacement du centre des efforts diplomatiques vers le site européen est lié au mécontentement des deux parties face aux efforts de médiation de Moscou. Sur fond d'affrontement géopolitique provoqué par le conflit en Ukraine, Bruxelles tente de s'en servir pour s'approprier le rôle de principal pacificateur de la Russie, notent les médias russes.

 

Qui va à Moscou, qui va à Bruxelles ?

 

La réunion conjointe des deux commissions nationales sur la délimitation et la sécurité des frontières, sera la deuxième réunion de ce format. La première réunion a eu lieu le 24 mai à la frontière entre les deux pays - immédiatement après que les dirigeants arménien et azerbaidjanais aient signé des décrets sur la création des commissions nationales après des négociations à Bruxelles le 22 mai avec la médiation du président du Conseil européen.

 

Avant la réunion du 30 août, les Premiers ministres russe et azerbaïdjanais Mikhail Mishustin et Ali Asadov ont discuté la semaine dernière en marge de la réunion des chefs de gouvernement de l'Union économique eurasienne à Cholpon-Ata de la mise en œuvre de la déclaration trilatérale du 9 novembre 2020 par les dirigeants de la Russie, de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie, qui a mis fin à la deuxième guerre du Karabakh. Au cours de la réunion, Ali Asadov a souligné l'importance de résoudre les problèmes actuels au sein du groupe de travail trilatéral dirigé par les vice-premiers ministres. "Il y a un travail sérieux en cours là-bas. Nous espérons qu'il continuera jusqu'à la fin", a déclaré Ali Asadov. "Il est très important de garantir toutes les décisions qui ont été prises concernant la commission tripartite afin de réduire la tension dans la région", a formulé de son côté le Premier ministre russe conformément à la position de Moscou.

 

Cependant, malgré les travaux sur la mise en œuvre des accords trilatéraux conclus plus tôt, Moscou, Bakou et Erevan ressentent un besoin croissant de poursuivre les négociations sur une autre plate-forme européenne - avec la médiation du président du Conseil européen.

 

Après avoir déjà convoqué les dirigeants de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie à deux reprises, en décembre de l'année dernière et en mai de cette année, Charles Michel accueillera la troisième rencontre entre Ilham Aliev et Nigol Pachinian le 31 août à Bruxelles, qui pourrait être décisive pour les deux parties dans la détermination de l'avenir du processus de paix dans le Caucase du Sud.

 

"Nous espérons que cette réunion conviendra de la création d'un groupe de travail pour préparer le texte d'un accord de paix entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Mais nous constatons une hésitation de la part de l'Arménie vis-à-vis de ce processus", a déclaré samedi dernier le conseiller présidentiel azerbaïdjanais Hikmet Hajiyev. Et de préciser : "Le Karabakh n'est plus un problème de la politique étrangère de l'Azerbaïdjan. Ce problème a déjà été résolu et le groupe de Minsk de l'OSCE appartient au passé. Ce problème est déjà clos pour nous, maintenant nous voulons établir des relations civilisées. »

 

Quant à Erevan, il a préféré s'abstenir de faire des déclarations sur la rencontre de Bruxelles. "A la suite de la réunion, un rapport approprié contenant des informations complètes sur les sujets abordés sera diffusé", a déclaré le service de presse du gouvernement arménien.

 

Quelle route mènera à la paix ?

 

Les rencontres de Moscou et de Bruxelles se dérouleront sur fond de tension croissante dans la zone du conflit arméno-azerbaïdjanais observée tout au long du mois d'août.

 

Déjà au début du mois, il y a eu un événement qui ne peut pas être qualifié d'affrontement de routine - l'armée azerbaïdjanaise a mené une action énergique près de la colline de Sarıbaba au Karabakh. Bakou l'a qualifiée "d'opération spéciale appelée ‘vengeance’ " en réponse aux tirs des forces armées arméniennes, qui ont entraîné la mort d'un soldat azerbaïdjanais", ont rapporté les médias.

 

Immédiatement après, Nigol Pachinian a déclaré que les événements du Karabakh soulevaient "un certain nombre de questions pour le contingent militaire russe".

 

La semaine dernière, le Premier ministre arménien a appelé le président russe Vladimir Poutine. Mais la conversation entre les deux dirigeants n'a pas pu apaiser les tensions qui prévalaient à Erevan, qui étaient évidentes dans le discours de Nigol Pachinian le 23 août à l'occasion du 32e anniversaire de l'indépendance de l'Arménie. "Le gouvernement se bat chaque jour pour l'indépendance de la République d'Arménie. Nous considérons l'indépendance comme une sécurité, mais les organisations internationales chargées d'assurer cette sécurité se fissurent sous nos yeux, et malheureusement l'une des premières fissures s'est produite au Haut-Karabakh", a-t-il déploré. Apparemment, par des structures internationales qui « craquent », il voulait dire le Groupe de Minsk de l'OSCE. De plus, sans nommer la Russie, le Premier ministre arménien a répété qu'il avait accumulé des questions sur les obligations alliées. "Pour nous, l'indépendance signifie de solides relations alliées, mais les alliés ne sont pas seulement vos alliés, mais aussi les alliés de ceux qui sont contre nous", a déclaré amèrement Nigol Pachinian.

 

À son tour, la partie azerbaïdjanaise, à commencer par le président Aliev, est mécontente de la mise en œuvre bloquée des accords du 9 novembre 2020.

 

Le plus grand irritant est la non-application du quatrième point des accords trilatéraux, selon lequel les forces armées arméniennes doivent quitter la zone de conflit simultanément avec le déploiement des casques bleus russes, ce qui ne s'est pas produit jusqu'à présent. "Près de deux ans se sont écoulés depuis la signature de l'accord tripartite. Mais il n'y a pas eu d'avancées essentielles sur les principales questions garantissant la stabilité dans la région. Il n'y a aucune certitude ni sur l'accord de paix, ni sur les questions de délimitation et de démarcation, ni sur Erevan tente désespérément de transférer le dialogue vers la plate-forme du groupe de Minsk de l'OSCE, qui est mort pour le Bakou officiel.

 

Dans des conditions où Erevan retarde le processus de négociations, l'Azerbaïdjan doit parvenir à la mise en œuvre de la déclaration trilatérale par des moyens durs, parfois violents, comme en témoigne la récente opération de démilitarisation des formations arméniennes illégales au Karabakh. La situation reste explosive », a déclaré Rafiq Ismailov, directeur du centre de Bakou « Pour la société civile », à Kommersant.

 

Les interlocuteurs de Kommersant à Erevan admettent qu'à la veille d'un nouveau cycle de pourparlers à Moscou et à Bruxelles, la situation n'est pas en faveur de l'Arménie.

 

"Les événements de début août ont montré que Bakou, ayant une supériorité militaire, peut forcer Erevan à accepter ses conditions. En outre, tous les grands acteurs extérieurs du Caucase du Sud - Russie, États-Unis, Iran et Turquie - ont une fois de plus vu que la société arménienne et l'Etat sont prêts à accepter une nouvelle perte de territoires", a déclaré le politologue Benyamin Boghossian à Kommersant.

 

Selon le politologue, dans une situation aussi difficile pour Erevan, l'Union européenne, ainsi que les États-Unis, s'attendent à ce que le conflit soit réglé et que les casques bleus russes quittent le Karabakh après novembre 2025, à l'expiration de leur mandat de 5 ans. "C'est pourquoi l'Union européenne est intéressée à ce qu'Erevan et Bakou s'accordent sur le statut d'autonomie du Karabakh au sein de l'Azerbaïdjan lors des pourparlers à Bruxelles afin d'entamer ensuite de véritables négociations sur les paramètres de cette autonomie", a-t-il déclaré.

 

Son collègue Tigran Krikorian est également très pessimiste. "L'Azerbaïdjan parlera à l'Arménie dans le langage des ultimatums, présentant deux demandes principales à Erevan - le désarmement complet de l'armée du Karabakh et la signature de l'accord de paix - et précisant que l'Azerbaïdjan peut utiliser des instruments de pression autres que verbal sur Erevan pour réaliser son buts".

 

À son tour, Farid Shafiyev, coprésident du Conseil d'experts russo-azerbaïdjanais, confirme que la priorité pour Bakou lors des pourparlers à Bruxelles sera la question de l'accord de paix avec Erevan.

 

"La question fondamentale est un traité de paix fondé sur le principe du respect mutuel de l'intégrité territoriale et l'obligation de renoncer aux revendications territoriales à l'avenir. Toutes les autres questions - la délimitation des frontières, l'ouverture des communications de transport, la résolution d'un ensemble de problèmes humanitaires - dépendra de la conclusion d'un traité de paix. L'idée que nous pouvons reporter à plus tard la question la plus difficile et régler les questions techniques maintenant n'est pas un succès. Il est nécessaire de couper le nœud le plus problématique dans le cadre de la question de la sécurité des Arméniens du Karabakh en Azerbaïdjan. Elle doit être résolue sur la base de l'intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan.

 

La communauté d'experts russes pose la question : pourquoi l'Arménie et l'Azerbaïdjan ont-ils ouvert une plate-forme de négociation alternative à Bruxelles, alors qu'il en existe déjà une sous médiation russe ? Premièrement, les négociations à Bruxelles ne signifient pas le rejet de la plate-forme russe. Deuxièmement, l'UE propose des propositions concrètes d'aide économique aux deux pays, et, en particulier, l'Arménie compte beaucoup sur les investissements de Bruxelles. Troisièmement, malgré la signature du président russe sur le document du 11 janvier 2021, l'Arménie a retardé l'ouverture des communications des régions occidentales de l'Azerbaïdjan vers Nakhitchevan depuis un an, comme le stipule l'article 9 de la déclaration du 9 novembre 2020. Bakou a été déçu de l'absence de progrès. C'est une autre raison pour laquelle la voie des négociations a été ouverte à Bruxelles », a déclaré Farid Shafiyev à Kommersant.