Compte-rendu d'une visite de parlementaires français au Karabakh

Compte-rendu par M. François Rochebloine, Député de la Loire
du voyage d'information
au Haut-Karabakh
d'une délégation [1]. de députés français

7-12 juin 2010

*

Le conflit du Haut-Karabakh fait partie de ces chaînes d'évènements historiques dont l'opinion française a du mal à cerner le développement, voire même à localiser géographiquement le cadre. L'actualité récente a malheureusement rappelé qu'il s'agit d'un affrontement authentique, qui a fait et peut faire encore, en plus ou moins grand nombre, des morts et des blessés. Cette seule considération justifierait que le Parlement français lui consacre une attention particulière : non pour exercer des prérogatives diplomatiques que la Constitution attribue au pouvoir exécutif, mais pour poursuivre le double objectif d'information et de contact qui caractérise assez exactement la diplomatie parlementaire.

La visite au Haut-Karabakh, en juin 2010, d'un groupe de six députés français, conduit par M. François Rochebloine, et comprenant M. Richard Mallié, M. René Rouquet, Mme Arlette Grosskost, M. Michel Diefenbacher et Mme Pascale Crozon, s'inscrit dans cette perspective. Il ne s'agit pas d'une mission officielle représentant le Parlement français, mais il s'agit bien en revanche d'une mission de parlementaires français venus s'informer publiquement de la situation extérieure et intérieure du Haut-Karabakh.

Notre expérience de la diplomatie parlementaire et des groupes d'amitié nous fait penser que le rôle de telles instances est de développer, dans un climat de confiance et d'écoute réciproques, des relations de compréhension et d'intelligence qui semblent aux députés qui sont membres de ces groupes favorables à l'intérêt bien compris des pays concernés. De telles relations impliquent aussi une réelle franchise dans les rapports, comme cela a été rappelé d'un commun accord par la partie arménienne et la partie française. C'est pourquoi nous sommes reconnaissants aux autorités du Haut-Karabakh et aux autorités arméniennes d'avoir joué le jeu de l'ouverture et du dialogue.

Nous avons d'ailleurs été quelque peu surpris par la réaction excessive des autorités azerbaïdjanaises à cette visite. Nous ne voyons pas, en effet, quel procédé, mieux qu'un déplacement dans la région, peut permettre une connaissance directe et sûre du sujet considéré. C'est pour parvenir à cette connaissance directe que nous avons saisi l'occasion que nous donnait l'invitation du président de l'Assemblée nationale de la République du Haut-Karabakh, prolongée par l'Assemblée nationale de la République d'Arménie. Les membres du groupe n'avaient pas tous, ni la même opinion d'ensemble sur la situation dans la région, ni la même familiarité avec l'univers arménien : à l'exception du président François Rochebloine et de M. René Rouquet, personne n'était entré jusqu'à juin 2010 sur le territoire du Haut-Karabakh. Leur inscription sur une « liste noire » qui aurait été décidée, selon la presse, par les autorités de Bakou n'est pas de nature à favoriser la perception par le Parlement et par l'opinion française de la position de l'Azerbaïdjan dans ce conflit : les autorités de Bakou en porteront la responsabilité, et on ne peut que le regretter.

Nous adressons en outre nos chaleureux remerciements aux personnalités qui ont bien voulu nous recevoir et répondre à nos questions :
Francois-Rochebloine-et-Bak

- en République du Haut-Karabakh, M. Bako Sahakian, président de la République, et M. Achot Ghulian, président de l'Assemblée nationale ;

- en Arménie,
Rene-Rouquet-et-Serge_mediu
M. Serge Sarkissian, président de la République, M. Edward Nalbandian, ministre des Affaires étrangères, M. Ara Babloyan, député, président du groupe d'amitié Arménie-France, ainsi que M. Hovig Abrahamian, président de l'Assemblée nationale, qui a décalé son départ à l'étranger pour recevoir à dîner notre délégation dès son arrivée à Erevan.

Nous remercions également les représentants des organisations non gouvernementales avec lesquels nous avons eu un échange fructueux à Stepanakert ; la municipalité et les habitants de Khatchen qui nous ont reçus avec chaleur pour une présentation des réalisations financées dans cette commune par SPFA (Solidarité protestante Franco-Arménienne), et les membres du dynamique club francophone de Stepanakert pour leur accueil original et amical.

Enfin, nous exprimons notre très vive reconnaissance à M. Hovhannès Ghevorkian, représentant permanent de la République du Haut-Karabakh en France, qui n'a cessé de prodiguer à notre délégation les vastes ressources de sa disponibilité, de son écoute et de ses connaissances.

De la structuration contrainte de l'ère soviétique à la situation de fait actuelle : rappels historiques

En nous limitant à la période moderne, nous voudrions simplement rappeler quelques dates de l'histoire contemporaine qui paraissent de nature à mieux situer le contexte du conflit du Haut-Karabakh.

Dans le contexte chaotique de la recomposition des territoires et des empires qui suit la fin du premier conflit mondial et la formation de l'URSS, l'Arménie, qui a vécu une brève période d'indépendance de juin 1918 à décembre 1920, est d'abord reconnue comme République autonome dans le cadre soviétique, puis fondue dans une République fédérative de Transcaucasie ;en 1922 ; puis elle reçoit le statut de République fédérée dans la Constitution soviétique de 1936. C'est le peuple de cette République qui proclame son indépendance, le 21 septembre 1991, par un référendum ratifié par le Parlement arménien. Son territoire, après les amputations résultant notamment des négociations des années 1920 entre le pouvoir soviétique et la Turquie de Mustapha Kemal, est réduit à environ 29 800 km² [2] : c'est l'état actuel des choses.

Le Haut-Karabakh, historiquement peuplé d'une large majorité de population arménienne (95 % en 1920) ne fait pas partie de la République socialiste soviétique d'Arménie, mais, malgré les vives contestations des Arméniens, est rattaché à l'Azerbaïdjan, le 5 juillet 1921, par une décision du Bureau caucasien du Parti communiste de l'Union soviétique ; en 1923, il est constitué en territoire autonome. Sa superficie est d'environ 4 400 km².

Partout en URSS, la ligne officielle du pouvoir soviétique est de considérer les nationalités comme des survivances appelées à disparaître avec le développement de la société socialiste : leur reconnaissance à titre temporaire s'accompagne d'une politique de division entre nationalités et de dépérissement progressif des ensembles nationaux homogènes.

Les revendications actuelles de l'Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh, qui forment le contenu de l'interprétation azérie du principe d'intégrité territoriale, ne paraissent donc pas pouvoir s'appuyer sur une possession paisible, incontestable et durable. Elles correspondent à la consécration dans l'ordre international d'une situation créée de toutes pièces par l'arbitraire intéressé d'un système politique – le système soviétique – qui a aujourd'hui disparu.

Formant de fait une communauté historique et culturelle, l'Arménie et le Haut-Karabakh ont trouvé dans la période qui a abouti à la recomposition post-soviétique un nouveau ciment à leur solidarité. C'est en effet la révolte du Comité Karabakh, expression du soutien à la volonté d'autodétermination de la population de cette région qui a entraîné par une réaction en chaîne le réveil des aspirations nationales dans le Caucase du Sud puis, d'une certaine manière, dans le reste de l'empire soviétique.

Dans la situation incertaine qui a suivi l'effondrement du bloc soviétique, la population du Haut-Karabakh a conquis entre 1992 et 1994, dans une guerre qui lui a été imposée, son indépendance à l'égard de l'Azerbaïdjan au prix de combats difficiles et coûteux en vies humaines dont, comme la délégation a pu le constater lors de son séjour à Stepanakert, le souvenir et les marques restent vifs dans les cœurs. Le conflit a entraîné d'importants exodes de population dans les deux sens : au cours de la rencontre de la délégation avec les organisations non gouvernementales, un intervenant a exprimé le souhait que l'on n'oublie pas, dans l'évocation de ces situations humainement dramatiques, le sort des réfugiés d'origine arménienne venus d'Azerbaïdjan.

Un cessez-le-feu est intervenu en mai 1994. C'est sous ce régime de fait que le Haut-Karabakh et l'Azerbaïdjan vivent depuis lors. Notre délégation avait lu des informations faisant état d'une certaine intensification de la tension sur la ligne de contact entre les forces adverses. Nous avons, bien entendu, cherché à vérifier sur place ce qu'il en était. Il nous a été répondu qu'en fait aucune évolution marquante sur une période significative n'était à noter : toutefois, a-t-on ajouté, la période des récoltes est mise à profit par les forces azéries pour perpétrer des agressions contre les paysans travaillant leurs terres en zone frontalière ou pour endommager leur production, quitte pour Bakou à affirmer ensuite que « des Arméniens » [autrement dit les paysans précités] avaient porté préjudice au « territoire azerbaïdjanais » [autrement dit les champs incendiés].

D'une manière générale, tant au Karabakh qu'en Arménie, nos interlocuteurs ont souligné l'intensification de la rhétorique belliciste de l'Azerbaïdjan, qui va de pair avec un accroissement de l'effort militaire de ce pays en violation, nous a-t-il été précisé, des engagements internationaux de limitation des armements conventionnels qu'il a souscrits. Notre attention a été appelée sur le fait que de hauts responsables politiques azéris avaient déclaré que ce langage ne cesserait pas d'être employé jusqu'au règlement définitif du conflit (dans des conditions, on peut l'imaginer, que Bakou jugerait favorables à ses intérêts). Nous ne pouvons que constater la réalité de telles déclarations ; nous ne sommes pas persuadés que l'emploi, assumé en pleine et publique conscience, de métaphores guerrières soit la meilleure manière de négocier. Quelques jours après le départ de la délégation, l'incident de frontière survenu dans la région de Martakert, qui a causé la mort de cinq soldats des forces de défense du Karabakh – et d'un Azerbaïdjanais donnait à ces métaphores une portée dramatique.

Le Haut Karabakh, une société civile, une réalité politique et institutionnelle

Une société civile dynamique malgré les difficultés

Il est d'expérience commune que l'ignorance engendre, partout et toujours, la peur de l'inconnu. Les membres de la délégation ont eu l'occasion de le dire au cours de leur séjour : à plusieurs reprises, des amis pourtant bien intentionnés à leur égard avaient cru devoir les mettre en garde contre les dangers qu'encourraient les personnes visitant le Haut-Karabakh. Nous avons le devoir de rectifier cette fausse image. Les rues de Stepanakert connaissent l'animation habituelle d'une ville moyenne dans cette région du monde, avec – pendant la saison clémente – la présence traditionnelle d'une population nombreuse et paisible dans les rues et les cafés. Nous n'avons été inquiétés à aucun moment lorsque nous nous promenions individuellement dans les rues et, pour reprendre l'image employée par l'un d'entre nous, nous ne nous sommes pas rendus au Karabakh en véhicule blindé, mais en minibus de tourisme.

Notre visite au village de Khatchen nous a permis de constater les effets bénéfiques de l'action de solidarité conduite par SPFA, comme par d'autres organisations, dans les campagnes du Karabakh. Nous avons pu vérifier en particulier combien une aide préparée avec rigueur en France, dont l'emploi est assuré dans un climat de coopération et de transparence, peut apporter une amélioration durable dans les conditions de vie collective des populations.

Cependant il est clair que l'instabilité de la situation politique ne facilite pas le développement de l'économie du Karabakh. Comme l'attestent les panneaux plantés le long de la route qui conduit de Goris à Stepanakert, les transferts financiers d'organisations comme le Fonds arménien ou de personnalités de la diaspora sont une ressource essentielle de la République ; la contribution de la République d'Arménie en est une autre. Tant que le conflit et le blocus dureront, la RHK aura du mal à assurer pleinement son développement économique et à faire valoir les ressources productives dont elle dispose : ressources minières ou encore produits agricoles. Le conflit a en quelque sorte cristallisé la situation du Haut-Karabakh dans l'appareil de production tel qu'il était défini par la planification soviétique. Le développement du tourisme, auquel la splendeur des montagnes surplombant Stepanakert pourrait donner un réel essor, reste encore limité pour la même raison. Nos interlocuteurs disent placer de grands espoirs dans l'ouverture prochaine de la liaison aérienne Erevan-Stepanakert, prévue pour l'automne prochain. Un facteur conjoncturel a en outre joué négativement : la crise économique, qui a durement frappé l'économie arménienne, n'a pas épargné celle du Haut-Karabakh. Les signes de reprise que l'on nous a laissé espérer à Erevan sur la base de l'observation de la conjoncture économique la plus récente devraient trouver, sauf évènement imprévu, leurs correspondants au Karabakh.

La construction à Stepanakert d'un nouvel hôpital, dont les lignes modernes forment un contraste saisissant avec le bâtiment délabré – et pourtant encore en service – datant de l'ère soviétique – est un signe positif, même si le triple handicap de la distance, de la démographie et du coût est une source de difficultés pour le développement sur place d'une offre de soins convenable. La délégation a été également frappée par le dynamisme intellectuel de la population, et notamment de sa jeunesse, que symbolise l'existence à Stepanakert d'un enseignement supérieur développé ; elle s'en est réjouie mais a en même temps déploré, en plein accord avec ses hôtes, les conséquences négatives de l'insuffisance de l'enseignement professionnel dans un pays qui a besoin pour son développement futur d'ouvriers et de techniciens de qualité.

Une vie institutionnelle effective

Face à une menace d'agression permanente, la population du Haut-Karabakh fait preuve, comme on nous l'a représenté, d'une volonté persévérante d'organiser la société, et notamment ses institutions politiques, d'une manière qui la consolide toujours davantage. Les responsables politiques de la République montrent dans leurs propos une conscience claire de la nécessité de construire une vie institutionnelle démocratique correspondant aux normes internationales généralement admises.

Séjournant à Stepanakert au moment précis où se réunissaient pour la première fois les 33 députés de la nouvelle Assemblée nationale, nous avons pu vérifier, en assistant à la séance inaugurale, que les éléments traditionnels de la procédure parlementaire que nous connaissons en France avaient été respectés : ouverture des travaux par le doyen d'âge, appel des candidatures et vote au scrutin secret dans les couloirs avoisinant l'hémicycle [3].
F-Rochebloine-et-A-Goulian_
Le président sortant, M. Achot Ghulian, seul candidat, a été réélu pour cinq ans par 28 voix pour, 4 voix contre et 1 bulletin blanc.

Nous avons recueilli quelques informations sur les élections qui ont abouti à la formation de cette nouvelle Assemblée. L'essentiel de la campagne électorale s'est déroulé, comme c'est encore en grande partie le cas en France, à travers les réunions tenues localement par les candidats. Sur 90 000 électeurs inscrits, 67 000 ont pris part au vote, soit 74 %. On nous a indiqué que de nombreux observateurs internationaux avaient assisté aux opérations électorales et en avaient estimé le déroulement globalement correct ; les défaillances éventuellement constatées feront l'objet, si besoin est, nous a-t-on indiqué, d'aménagements législatifs ou règlementaires.

Nos interlocuteurs ont marqué une certaine déception devant l'attitude d'instances internationales qui, tout en estimant ne pas pouvoir désigner d'observateurs aux élections législatives en raison de l'incertitude qui grève le statut du Haut-Karabakh, se sont autorisées à en critiquer soit le principe, soit les modalités ; comme eux, nous voyons là une contradiction manifeste. Il n'est pas davantage réaliste d'asseoir la définition d'une ligne sur la négation pure et simple du fait politique que constitue l'organisation paisible, dans des conditions convenables, d'une consultation électorale : en effet, il nous paraît incontestable que cette consultation est l'expression de l'opinion collective d'une communauté clairement définie et constituée, pourvue des autorités politiques que sont le Président de la République, le Premier ministre et son gouvernement et l'Assemblée nationale.

Enjeux et difficultés d'une négociation complexe

La réalité collective du Haut-Karabakh et de sa société politique constituée en République indépendante apparaît incontestable dans l'ordre des faits. Il est tout aussi incontestable qu'à l'heure actuelle, cette réalité n'a pas reçu la consécration du droit international.

Notre voyage nous a fait apparaître plus clairement les raisons de ce paradoxe : elles tiennent à une situation de négociation perpétuellement inaboutie dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler le groupe de Minsk.

Le groupe de Minsk, auquel il a été fait de fréquentes allusions dans toutes nos rencontres, est une instance ad hoc de onze pays constituée dans le cadre de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe afin de préparer les bases d'une négociation sur le conflit du Haut-Karabakh. Sa présidence est conjointement assurée par les Etats-Unis, la France et la Russie. C'est dans ce cadre qu'ont été notamment définis, en 2007, les principes dits de Madrid : intégrité territoriale, autodétermination, non-recours à la force qui devraient servir d'ossature au règlement à intervenir, étant précisé que ces principes ont une égale valeur.

Cependant, nos entretiens nous ont fait constater une double difficulté de méthode :

- la première est le refus opposé par l'Azerbaïdjan à la participation directe de la République du Haut-Karabakh aux négociations. Nos interlocuteurs ont noté avec une satisfaction compréhensible une certaine évolution du groupe de Minsk et de ses co-présidents en faveur de cette participation. Nous espérons nous aussi une telle évolution, et nous avouons ne pas comprendre le refus de l'Azerbaïdjan de discuter avec les représentants d'une population dont il est contraire au bon sens de nier l'existence et les aspirations ;

- la seconde, qui n'est pas sans précédent dans les négociations internationales, est la divergence des interprétations données par les parties aux principes auxquels elles ont officiellement souscrit. Il est clair que la compréhension par l'Azerbaïdjan du principe de l'intégrité territoriale comme l'équivalent du statu quo territorial ne coïncide pas avec l'interprétation de la partie arménienne et du Haut-Karabakh, telle qu'elle ressort des déclarations officielles de ces derniers, lesquelles, en retour, ne donnent pas à l'autodétermination le même poids relatif que Bakou dans l'ensemble des trois principes formulés à Madrid.

En écoutant nos hôtes, nous avons relevé à plusieurs reprises l'espoir qu'ils mettaient dans une plus grande volonté de la France de peser pour que soient adoptés dans les négociations actuellement bloquées des schémas de pensée habituellement reçus dans la vie politique et diplomatique européenne. Nous en avons trouvé l'expression la plus symbolique dans cette affirmation, selon laquelle l'Union européenne s'étend jusqu'à la limite de l'endroit où elle est désirée. Les modalités de règlement du statut du Kosovo ont été également mentionnées comme un précédent utile.

La revendication d'un statut d'Etat pour la République du Haut-Karabakh nous a été présentée comme un compromis entre le maintien du territoire dans la souveraineté de l'Azerbaïdjan, qui nous paraît manifestement impossible à envisager, et l'intégration pure et simple dans l'Arménie, qui a été historiquement la première revendication du Karabakh mais qui, nous a-t-on dit, ne recueillerait pas l'assentiment de la communauté internationale. Nous estimons, compte tenu de ce que nous avons observé au cours de notre séjour, que ce compromis n'est pas dépourvu de réalisme, surtout si nous considérons le sacrifice qu'il représente, de notre point de vue, pour les principaux intéressés.

Les relations entre l'Arménie et la Turquie

Nous avons souhaité saisir l'occasion de notre séjour pour nous informer de l'état des relations entre l'Arménie et la Turquie après la signature, non suivie de ratification, des protocoles bilatéraux.

Nous avons tout d'abord constaté un accord entre les autorités arméniennes et celles du Haut-Karabakh pour dénier l'existence de tout lien entre le développement de cette négociation et l'état d'avancement des pourparlers sur le Haut-Karabakh conduits dans le cadre du groupe de Minsk. Indépendamment de cela, les autorités du Haut-Karabakh ont logiquement salué l'initiative qui a conduit à ces accords comme une contribution à l'établissement d'un climat de paix dans la région. C'est d'ailleurs ainsi qu'ils ont été perçus, nous devons le rappeler, par l'opinion française.

Nous avons également constaté lors de nos entretiens à Erevan que les perspectives d'un redémarrage du processus postérieur à la signature, vers la ratification, n'étaient pas – à cette date – largement ouvertes. Les autorités arméniennes se sont attachées à décrire longuement les évènements qui ont jalonné, depuis l'origine, le processus de reprise de contact entre l'Arménie et la Turquie ; elles ont souligné les difficultés que comporte la négociation avec un partenaire qui est toujours susceptible de revenir sur des points antérieurement négociés et que l'on croyait acquis. Nous déplorons aussi les comportements contradictoires (réapparition de préalables qui avaient été écartés dans les phases précédentes des conversations) qui se sont manifestés au moment même où intervenait la signature des accords..

Nous voudrions croire, en particulier, à la consistance des signes encourageants relevés par ceux d'entre nous qui suivent plus attentivement la vie politique turque, en direction d'une plus grande lucidité à l'égard du génocide arménien.

Conclusion : un appel à la paix de la raison

Alors que revenait dans nos échanges le constat matériel de l'inégalité des situations entre les Etats de la région du Caucase du Sud, le président Bako Sahakian faisait observer avec raison que l'animation de la vie internationale au cours de l'histoire n'avait jamais été réservée aux très grandes puissances.

Nous voudrions partir de ce constat sur lequel il est facile de s'entendre pour exprimer, à l'issue de notre séjour, notre espoir de voir prévaloir, dans le Caucase du Sud, la paix de la raison.

La simple lecture de l'histoire permet de constater que le rattachement du Haut-Karabakh à l'Azerbaïdjan, à une époque où la réalité politique de l'Azerbaïdjan était tout entière enclose dans le système soviétique, relève d'une décision politique, dictée par des considérations sans aucun lien avec le droit des peuples.

Les dirigeants actuels de l'Azerbaïdjan pourraient donc, sans encourir – au contraire – aucun jugement négatif ou dépréciateur – renoncer à une attribution indue et qui, compte tenu de l'état d'esprit de la population du Haut-Karabakh, ne serait pas pour l'Etat azéri une source de quiétude.

Il nous semble qu'en consentant à un tel geste, ils acquerraient aux yeux de la communauté internationale un avantage d'estime qui n'est jamais uniquement source de bénéfices moraux.

Nous considérons pour notre part qu'ainsi envisagée sans aucun esprit de vindicte ou de supériorité, mais seulement au nom de la raison et du bon sens, la reconnaissance internationale du statut de la République du Haut-Karabakh, tout en procurant à sa population la stabilité et la tranquillité auxquelles elle a droit, serait un exemple précieux de victoire de l'esprit de paix et permettrait en outre le développement d'actions de coopération économique dans l'intérêt bien compris de tous les Etats de la région.

Promouvoir la paix, c'est promouvoir le bien le plus précieux de l'Homme et le fondement de tous ses droits.




[1] La délégation comprenait MM. François Rochebloine, Richard Mallié, René Rouquet, Mme Arlette Grosskost, M. Michel Diefenbacher et Mme Pascale Crozon

[2] A titre de comparaison, la superficie de la Bretagne administrative (hors Loire-Atlantique) est de 27 500 km².

[3] L'archevêque de Chouchi, Mgr Parguev Martirossian, et le président de la République, M. Bako Sahakian, ont pris la parole au cours de la séance inaugurale, pour exhorter, chacun dans son registre, les membres de l'Assemblée nationale à accomplir leur devoir patriotique de représentants du peuple.