De la célébration d'une messe dans l'église Sainte-Croix de l'île Akhtamar

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

De même qu'un office religieux s'est déroulé devant les médias internationaux au monastère grec de Sumele il y a une semaine, la même scène se déroulera le 19 Septembre au ‘musée' Sainte-Croix d'Akhtamar, rendue au culte pour une journée. Une église qui ne possède pas de croix sur sa coupole, par décision des autorités turques.

Certes il convient de se réjouir de voir un monument arménien restauré par la Turquie, même pour des raisons bassement événementielles aux yeux des Occidentaux. Mais pour une église restaurée en musée, combien d'autres monuments arméniens ont été laissés à l'abandon, transformés en mosquée, voire en étable, écurie, bergerie ou entrepôts divers, servis de cible à l'armée turque ou purement et simplement détruits.

Selon des données de l'Unesco fournies en 1974, sur 913 monuments arméniens, 464 auraient été entièrement détruits, 252 réduits à l'état de ruines, 197 exigeant des travaux urgents de restauration.

On peu aisément imaginer ce qu'il en est 36 ans après !

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Le 19 Septembre prochain, après 95 ans de silence, un office religieux doit être célébré dans l'église Sainte-Croix de l'île d'Akhtamar sur le lac de Van.
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** Karine Ter-Sahakian **

Les politiciens arméniens ont commencé une campagne de propagande active contre la présence des Arméniens à cette cérémonie. Les arguments, hélas, sont toujours les mêmes : - les Arméniens vont danser sur un air turc ; - ils promeuvent une image positive de la Turquie, etc.

Bien sûr, il y a du vrai dans ces déclarations, mais les appels de certains hommes politiques à ignorer la messe à Akhtamar ne sont rien d'autre qu'une tentative de se montrer plus royaliste que le roi. Bien sûr, en temps normal, vous ne pouvez pas aller n'importe où en Anatolie orientale (Arménie occidentale). Néanmoins, les partisans du boycott ne savent pas exactement contre quoi ils protestent. À notre avis, un fait très important doit être précisé ici. Seule la communauté arménienne d'Istanbul a le droit de décider ce qu'elle veut au sujet Akhtamar. Seulement, elle a obtenu des autorités l'autorisation de célébrer la messe, qu'une fois par an. D'ailleurs, toutes les questions concernant les services religieux, l'élection du patriarche de Constantinople, et la restitution des biens sont décidées par le gouvernement turc et non par l'Arménie ou la diaspora. Une tension excessive est nuisible non seulement pour la communauté d'Istanbul, mais aussi pour la nation dans son ensemble.

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Se rendre dans une église est une affaire purement personnelle et personne n'a le droit d'interdire ou d'autoriser quiconque à assister à l'office du 19 Septembre. Bien sûr, la Turquie a besoin de telles mesures pour renforcer son image dans le monde. Toute initiative du Gouvernement en ce qui concerne les minorités poursuit des objectifs précis. A noter dans ce contexte, qu'après 88 ans, une messe a été autorisée dans le monastère grec de Sumele, attirant plus de 2000 pèlerins grecs des quatre coins du monde. Et cet événement a été bien perçu en Grèce, bien que les Grecs aient également des rancunes envers la Turquie.

Donc, aller ou ne pas aller à Akhtamar le 19 Septembre est une affaire purement personnelle et il est incorrect, pour ne pas dire plus, de jouer avec les valeurs morales et blâmer la Turquie d'autoriser une messe. En fin de compte, tous les États, y compris la Turquie, font ce qu'ils estiment nécessaire et important. Malheureusement, cela est également vrai pour le génocide de minorités chrétiennes ...

PanArmenian – Département Analyse

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** Naïra Hayroumian **

Pour certains la Turquie prend cette mesure pour bien se faire voir par l'Union européenne, pour d'autres, elle essaie de présenter un pays qui se transforme et devient plus démocratique. Mais dès que l'on considère la question sous un autre angle, il devient évident qu'Ankara essaie tout d'abord de résoudre un problème psychologique.

La question de savoir pourquoi la Turquie ne reconnaît pas le génocide, peut être regardée sur le plan moral. « Nous n'avons pas besoin de quoi que ce soit, l'important est que la Turquie reconnaisse le génocide et s'excuse, » déclarent de nombreux Arméniens. Mais ils oublient qu'ils sont dans des systèmes différents de valeurs (psychologiques) avec ce qui existe en Turquie. Ce qui est considéré comme péché d'un côté, est perçu comme héroïsme de l'autre. Certains Arméniens ne peuvent pas s'empêcher de penser que les Turcs ont honte de ce qui s'est passé, qu'ils comprennent qu'ils ont commis un péché, et donc refusent de reconnaître le génocide. Mais en fait ils ne se sentent pas du tout coupables. Que l'on appelle cela génocide, déportation ou expulsion, les Turcs sont fiers de leur histoire, et considèrent cela comme une avancée qui leur a donné pleine autorité sur de nouveaux territoires. Ils n'ont rien à se reprocher, ils sont gagnants. Et maintenant, ils doivent affermir leur victoire au niveau psychologique. C'est pourquoi ils ‘autorisent' des offices dans les églises arméniennes, histoire de montrer qui tient les rênes. Ils peuvent même autoriser des services religieux quotidiens, mais il faut leur demander la permission.

Si la Turquie sent la nécessité de prouver son droit à ‘autoriser', c'est qu'elle a des problèmes liés à ce droit. Cela signifie aussi qu'il existe une possibilité de contester ce droit, non au niveau ‘autorisation', mais devant les instances internationales. Lorsque les offices à Akhtamar découleront d'une décision de la Cour internationale des Nations-Unies, alors les Arméniens pourront y participer. Aller à Akhtamar parce que la Turquie l'autorise, signifie reconnaître ce droit à la Turquie.

Lragir – Département Analyse

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