De l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne

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Commentaires : Gérard Merdjanian

Même si les dirigeants changent, les politiques perdurent. L'Europe est toujours aussi partisane de l'entrée de la Turquie dans l'UE pour des raisons essentiellement géostratégiques sous-tendues par des besoins de diversification et de sécurité énergétiques.

Le marché européen est déjà largement ouvert aux produits ‘made in Turquie', et nombre de pays européens exportent sans problèmes vers la Turquie, grâce aux accords douaniers. Quant à la circulation des personnes, les Turcs se comptent par millions dans l'espace européen. L'adhésion n'apportera pas grand-chose.

La France et l'Allemagne pensent que la Turquie va apporter plus de problème qu'elle va en résoudre, déjà qu'à vingt-sept et avec la nouvelle constitution (Traité de Lisbonne), le fonctionnement des institutions laisse à désirer. De leur côté la Grande-Bretagne et l'Espagne ne manquent pas une occasion de faire savoir leur ‘ardent' désir de voir la Turquie intégrer l'Europe.

La Perfide Albion comme l'Oncle Sam, en bon atlantistes qu'ils sont, soutiennent mordicus leur allié de l'OTAN et leur allié dans la région avec Israël, le digne successeur de l'empire ottoman, qu'il soit laïc ou islamique. Quant aux accrocs permanents aux libertés ou au Droit, ils passent au second plan. Quant au contentieux avec l'Arménie et les Arméniens, c'est relégué aux calendes grecques.

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La Turquie est un allié important en Afghanistan, dispose de la plus importante armée de l'OTAN en effectifs, après les Etats-Unis, et constitue un élément clef de l'organisation atlantique au Proche-Orient. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne s'inquiètent de voir la Turquie, lassée des lenteurs du processus d'adhésion, se tourner vers l'Orient et plus particulièrement vers l'Iran.

Ankara a entamé les négociations d'adhésion à l'UE en 2005, mais les Vingt-sept se déchirent sur l'intégration de la Turquie, le président Nicolas Sarkozy et la Chancelière Angela Merkel étant les plus ardents détracteurs à voir un pays musulman de 73 millions d'habitants entrer dans l'Europe, auquel il faut ajouter l'impasse à Chypre et de la lenteur des réformes en Turquie. Aussi, ils défendent l'idée d'un "partenariat privilégié" plutôt qu'une adhésion pleine et entière.

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** Position allemande **


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Le chef de la diplomatie allemande Guido Westerwelle a estimé que la Turquie n'était pas mûre pour intégrer l'Union européenne, dans un entretien au quotidien allemand Bild aujourd'hui.

"Si la question (d'une adhésion de la Turquie à l'UE) devait être décidée aujourd'hui, la Turquie ne serait pas en mesure de rejoindre l'UE et l'UE ne serait pas en mesure de l'accueillir", a déclaré le ministre libéral à la veille d'une visite à Istanbul. "Il est en revanche de notre intérêt que la Turquie s'oriente vers l'Europe (et) pas seulement pour des raisons économiques. (…) Le pays peut aider de façon très constructive au règlement de nombreux conflits, qu'il s'agisse de l'Afghanistan, de l'Iran, du Yémen ou du Proche-Orient", a-t-il ajouté.

Mais "celui qui donne l'impression que l'adhésion est proche se trompe", a insisté le ministre, laissant ouverte la question d'un référendum pour décider de l'adhésion turque à l'UE. "On ne devrait pas spéculer sur des choses qui seront d'actualité dans des années". La chancelière Angela Merkel et son parti chrétien-démocrate CDU s'opposent à une pleine adhésion de la Turquie à l'UE, mais les libéraux du FDP de M. Westerwelle sont considérés comme plus ouverts aux ambitions européennes d'Ankara.

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** Position anglaise **


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A l'occasion de sa première visite à Ankara depuis sa prise de fonctions, en mai, David Cameron a estimé que la Turquie, de part son vaste potentiel économique et son influence croissante au Proche-Orient, contribuerait à la prospérité et la stabilité politique de l'UE.

"C'est une chose que je poursuis très fortement, avec passion. Ensemble, je souhaite que nous tracions la route d'Ankara à Bruxelles", a dit David Cameron dans un discours à la Chambre de Commerce et de Négoce de matières premières turque.

La puissance économique turque va grandissante et, selon lui, représentera à l'avenir un marché intéressant pour les entreprises britanniques. Il a souhaité que la valeur des échanges bilatéraux double en cinq ans, affirmant que le commerce serait le moteur de la relance économique.

Lors de son entrée au 10 Downing Street, Cameron avait émis le souhait de concentrer sa diplomatie sur l'aspect économique. Dans cette perspective, il entend opérer un rapprochement avec les grands pays émergents. Après la Turquie, il doit se rendre en Inde entouré de nombreux dirigeants d'entreprise.

David Cameron a insisté sur la qualité de partenaire stratégique de la Turquie, présente en Afghanistan et susceptible d'aider à sortir d'impasses diplomatiques telles que le dossier nucléaire iranien ou le conflit israélo-palestinien.

"Aucun autre pays n'a le même potentiel pour construire une entente entre Israël et le monde arabe", a-t-il dit tout en reconnaissant que l'intervention militaire israélienne contre une flottille à destination de la bande de Gaza, dont le navire de proue était turc, a nui aux relations israélo-turques.

"J'exhorte la Turquie et Israël à ne pas renoncer à cette amitié", a-t-il dit. Évoquant la situation à Gaza, il a en outre usé de propos fermes, à même de trouver un écho favorable en Turquie. "On ne peut et on ne doit pas permettre que Gaza reste un camp de prisonniers", a-t-il déclaré.

A la lumière de l'importance unique de la Turquie en termes de sécurité, de diplomatie et d'économie, il a dit être "en colère" de voir les efforts d'Ankara pour rejoindre l'UE sapés par l'opposition de certains dirigeants européens.

Pour David Cameron, les opposants à l'entrée de la Turquie dans l'UE appartiennent à trois catégories : des protectionnistes qui voient sa puissance économique comme une menace, des esprits "polarisés" qui veulent la voir choisir entre Orient et Occident, et des personnes pleines de préjugés qui se méfient de l'Islam, malgré la tradition laïque de ses institutions.

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** Position européenne **

La Commission européenne a salué la volonté clairement affichée aujourd'hui par le Premier ministre britannique David Cameron de promouvoir l'entrée de la Turquie dans l'UE, réaffirmant que le pays avait une "perspective" d'entrée dans le bloc comptant aujourd'hui 27 pays.


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Le commissaire à l'élargissement Stefan Füle et la diplomate en chef de l'UE Catherine Ashton étaient en Turquie le 13 juillet et y ont "réaffirmé la perspective d'une entrée dans l'UE de la Turquie. A cet égard, nous ne pouvons que saluer la volonté qu'a le Premier ministre Cameron de faire avancer cette procédure", a indiqué mardi un porte-parole de la Commission.

"La Commission a aussi exprimé l'espoir que davantage de chapitres dans les négociations puissent être ouverts cette année, si la Turquie remplit les conditions nécessaires. Bien sûr, le moteur de toute cette procédure, ce sont les réformes qui ont lieu en Turquie", a souligné son porte-parole.

L'UE a fait un geste fin juin en ouvrant un nouveau "chapitre" concernant les aspects de sécurité alimentaire, le 13ème. Cependant un seul chapitre, sur les 35 prévus dans les négociations, a été bouclé à ce jour.

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Extraits du Figaro, de l'Express et de l'AFP