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Traduction libre Gérard Merdjanian - commentaires
Que l'UE soit intéressée par le Sud-Caucase n'est un secret pour personne et surtout pas pour la Russie ou les Etats-Unis. Tant que l'on reste sur un plan économique et/ou sur la diffusion de valeurs, l'UE agit comme tout autre Etat à travers le monde.
Les ennuis commencent dès qu'il s'agit de mettre en œuvre une politique étrangère commune, voire une stratégie géopolitique commune. On voit de suite poindre les alliances et les sensibilités diverses des 27, par exemple entre les pro-atlantistes et les autres. De même, le soutien apporté à l'une ou l'autre des parties par certains pays de l'UE varie. Là aussi les pro-atlantistes se distinguent des autres, collant aux basques des Etats-Unis.
Tant que l'UE ne parlera pas d'une seule voix, souhaiter l'associer aux pourparlers de paix sur le Haut-Karabakh, n'est pas très rationnel surtout si c'est pour sortir des banalités ou des lieux communs. Faire des propositions en faisant fi du passé historique de ces pays, revient à mettre un cautère sur une jambe de bois. D'autant que l'OSCE qui regroupe 56 pays, y participe pleinement à travers le groupe de Minsk.
Et si l'on aborde la question par un autre biais, le problème se complexifie encore plus. Comment demander la participation d'un acteur supplémentaire (l'UE) quand celui-ci soutient pleinement l'adhésion d'un pays (la Turquie), auteur d'un génocide, qui impose un blocus à l'Arménie depuis 1994, qui occupe Chypre depuis 1974 et qui soutient l'Azerbaïdjan à 100%.
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Pour comprendre ce rôle, il convient d'abord de souligner l'intérêt de l'UE à résoudre les conflits dans le Sud-Caucase. Le conflit du Haut-Karabakh est l'un des plus dangereux et importants de la région. La probabilité que le conflit dégénère en guerre est le plus élevé, et ce conflit non résolu est un obstacle sérieux à la stabilité régionale et la coopération. Il est également le principal obstacle à tout espoir de transformer le Sud-Caucase en une plaque tournante du transport Est-Ouest, et Nord-Sud.
Le Sud-Caucase est l'un des rares corridors de transit de l'énergie permettant à l'UE de diversifier ses accès aux ressources énergétiques de la région de la mer Caspienne mais également comme région de transit en général. Les trois alternatives pour le transit du gaz de la mer Caspienne vers l'UE - Nabucco, Bakou-Tbilissi-Erzurum et South Stream - dépendent tous de la stabilité dans cette région.
On peut donc dire que l'UE a des intérêts puissants dans le Sud-Caucase. La proximité géographique, les ressources énergétiques, les pipelines, et les défis de la criminalité et du trafic international, impliquent un retour à la stabilité de la région, d'où un intérêt évident de l'UE. Une éventuelle guerre dans le Haut-Karabakh détruirait la fragile stabilité de la région et menacerait gravement la sécurité des approvisionnements énergétiques de la Caspienne vers les marchés internationaux. Le prix du conflit non résolu du Haut-Karabakh serait extrêmement élevé pour l'UE, comme il l'a été dans le cas de la Géorgie. La situation actuelle de conflit n'est ni acceptable ni viable, et les récentes augmentations de dépenses militaires sont une réelle préoccupation. Aussi, les trois conflits - Haut-Karabakh, Abkhazie, Ossétie du Sud - ont le potentiel de dégénérer en véritable guerre et ce dans le voisinage de l'Europe.
Depuis 2003, l'UE est devenue de plus un acteur de la sécurité dans le Sud-Caucase. Elle a nommé un Représentant spécial de l'UE pour le Sud-Caucase (Peter Semneby), a lancé une Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) ainsi qu'une Politique Européenne de Voisinage (PEV). Fin 2006, elle a commencé les négociations des Plan d'actions liés à la PEV. Bruxelles estime que les plans d'actions encourageront les gouvernements du Sud-Caucase à établir des relations de bon voisinage et coopérer au développement régional, en tant que bases pour la résolution pacifique des conflits. Avec le lancement en 2009 du Partenariat de l'Est avec trois nouveaux pays en plus des trois pays transcaucasiens, l'UE a non seulement ses raisons, mais aussi les instruments nécessaires pour son implication dans la résolution des conflits. Les plans d'actions du PEV comprennent une multitude d'objectifs qui contribuent à la consolidation de la paix, tels que le renforcement de la primauté du droit et la démocratie, la protection des droits de l'homme, le développement économique, la coopération dans la sécurité et la gestion des frontières, ainsi que la coopération régionale. Pour la région, ces plans peuvent être l'occasion de tracer un processus de réformes concrètes. Mais il y a un long chemin à parcourir.
Les relations de l'UE ne sont pas solides que ce soit avec l'Azerbaïdjan ou l'Arménie. Elle ne participe pas directement aux négociations sur le Haut-Karabakh. Dans et autour du Haut-Karabakh, elle fait peu pour la résolution du conflit. Pour devenir plus proactif, l'UE doit accroître sa visibilité politique et élaborer un plan pour son implication dans le processus de résolution du conflit. Par exemple, au lieu d'attendre un accord sur les principes de base (dits d'Helsinki), de la médiation des coprésidents du Groupe de Minsk de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), l'UE devrait commencer dès à présent la planification d'urgence pour aider à la mise en œuvre de la paix. Qu'un accord de paix soit signé ou non, l'UE devrait aller de l'avant dans la mise en œuvre des programmes de renforcement de la confiance ou - dans un scénario pire - préparer une série d'options dans le cas d'une reprise des combats. L'UE devrait également contribuer au financement pour aider les ONG, les médias, et d'autres à promouvoir le débat public sur la résolution du conflit au sein des sociétés civiles des parties concernées. Cela pourrait aider à développer des alternatives aux positions belligérantes de l'élite politique, qui utilisent fréquemment les médias d'Etat pour manipuler l'opinion. L'UE pourrait également soutenir les médias considérés comme neutre dans ces pays.
Lorsqu'on lui a demandé comment l'Union pourrait accroître son soutien dans la résolution du conflit, des dirigeants de l'UE ont répondu : "C'est le rôle du Groupe de Minsk". Sans aborder ici l'utilité de ce format, l'UE peut apporter un soutien plus fort grâce à des programmes d'aide pour créer un meilleur environnement pour les négociations, sans pour autant les reproduire. Toutefois, lors d'un entretien, des Hauts-fonctionnaires de la Commission européenne ont déclaré : « Personne ne nous a demandé de faire quelque chose dans le Haut-Karabakh ... nous le ferions si les parties nous le demandait."
Dans le cadre d'un maintien de la paix par des forces internationale et pour apporter des garanties de sécurité et de mise en œuvre à l'appui d'un accord de paix, beaucoup reconnaissent que l'UE serait très bien placée. La composition d'une mission de maintien de la paix est politiquement sensible, et les parties en conflit considèrent que les forces de l'UE sont les plus neutres politiquement.
En conclusion, nous pouvons dire que l'UE a exprimé son intérêt stratégique pour contribuer à la résolution des conflits gelés. Elle se rapproche des pays touchés géographiquement tant en termes de valeurs que d'aspirations. Elle a apporté son soutien et a essayé de collaborer et d'influencer les pays du Sud-Caucase. Ses contributions à ce jour ont été considérables : les efforts de réhabilitation, l'aide aux réformes, le passage aux frontières et les questions douanières, ainsi que restaurer les liens entre les pays et leurs régions séparatistes. L'Union européenne fait bien de conseiller les pays touchés par les conflits à se concentrer en priorité sur les réformes, et à ne pas laisser les conflits gelés perturber cette démarche. Comme le développement de la PEV se poursuit, il est bon de prêter attention à l'accroissement des échanges, des voyages, des contacts politiques et de la coopération régionale. Ces efforts contribueront à la résolution des conflits.
En outre, l'UE a le potentiel pour figurer dans le domaine du dialogue politique avec toutes les parties concernées et dans la recherche de la meilleure présentation des opérations de stabilisation. Le profil politique de l'UE doit correspondre à son rôle en tant que donateur et à son ambition comme un acteur de premier plan dans la résolution des questions de sécurité régionale. La contribution de l'UE est nécessaire dans les deux processus - des changements progressifs pour préparer le terrain et créer les conditions dans les régions, et les efforts visant à trouver la volonté politique nécessaire pour prendre les mesures décisives et parvenir à un accord.
L'UE ces dernières années, a exprimé une plus grande ambition de coopérer pour résoudre les problèmes de sécurité régionale. Travailler de façon constructive pour résoudre les conflits gelés est le meilleur moyen de prouver que ces ambitions sont de bonnes.
Extraits de Times.am
Anna Boghossian - Edition du Caucase