Karabakh : Interviews d'un ministre arménien et d'un politologue russe

***

Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

Le ministre Kotcharian n'apporte rien de nouveau que les observateurs ne connaissent déjà. Il ne fait que confirmer que les discussions, qu'elles soient bilatérales (ministérielles) ou trilatérales (présidentielles), ne vont pas dans le sens d'une résolution. Le rejet constaté dans les discours des dirigeants azerbaidjanais et sur le terrain (la ligne de contact) de deux des trois principes proposés par la communauté internationale, bloque tout progrès dans les négociations de paix. Et encore, on ne tient pas compte dans ces discussions d'un autre élément : le principal intéressé, à savoir la population de l'Artsakh, laquelle n'a toujours pas le droit à la parole.

L'expert russe analyse la situation au Sud-Caucase et plus généralement dans la région d'un point de vue géostratégique, entre les sphères d'influence des deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et la Russie. Le rôle de l'UE se limitant essentiellement au domaine économique, elle n'interfère en rien dans le jeu des grands ; tout au plus, au sein de l'OTAN et encore. Il ressort que le devenir du Haut-Karabakh restera inchangé pour encore un long laps de temps, vue que Bakou a tout à perdre en cas de déclenchement d'une nouvelle guerre, même au sein d'un conflit plus général impliquant l'Iran. N'oublions pas toutefois, qu'une arme défensive utilisée en mode offensif peut faire pas mal de dégâts.

***

*

** Chavarche Kotcharian **


Chavarsh-Kotcharian5_medium
L'Azerbaïdjan menace toujours de résoudre le conflit du Haut-Karabakh par l'utilisation de la force. Le ministre des Affaires étrangères azerbaïdjanais, Elmar Mammediarov, déclare que l'Arménie torpille le processus pour tenter de maintenir le statu quo, ce qui ne correspond pas au format des pourparlers en cours. Le Vice-ministre des Affaires étrangères arménien, Chavarche Kotcharian, commente la situation actuelle.

Dans son allocution au Conseil de l'OTAN, Elmar Mammediarov a accusé l'Arménie de torpiller les pourparlers sur le Karabakh. Quel est votre commentaire à ce sujet ?

- Le fait est que les réunions du Conseil l'OTAN se tiennent généralement à huis clos et que leurs procès-verbaux ne sont pas rendus publics, alors je ne suis pas sûr que les médias azerbaïdjanais citent correctement les propos de leur ministre. Il semble que l'Azerbaïdjan ait violé cette règle et que M. Mammadyarov, impressionné par le discours prononcé par son homologue arménien à l'ONU, ait décidé d'attribuer les provocations et les bévues de l'Azerbaïdjan à l'Arménie. Les accusations infondées sur le torpillage de processus afin de maintenir le statu quo, ne peuvent pas les aider.
- L'Azerbaïdjan doit observer les normes du droit international qui stipulent les principes suivants : - le droit des peuples à l'autodétermination, la non-utilisation de la force ou de sa menace, et l'intégrité territoriale - . Bakou nie le principe du droit à l'autodétermination, alors que ce n'est pas à l'Azerbaïdjan mais au peuple de la RHK de décider de son sort. Avec les menaces et les provocations continuelles sur la ligne de contact entre l'Azerbaïdjan et les forces armées de la RHK, Bakou ne tient pas compte non plus du principe de non-usage de la force. Le seul principe que l'Azerbaïdjan prétend comprendre, c'est l'intégrité territoriale. Toutefois, la Charte des Nations Unies stipule clairement que ce principe ne peut être opposé au droit des nations à l'autodétermination. La partie 2 de l'article 1 de la Charte des Nations Unies se lit comme suit :

- Pour développer des relations amicales entre les nations fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits et de l'autodétermination des peuples, et pour prendre d'autres mesures appropriées pour renforcer la paix universelle.
- Dans ce contexte, il convient de noter que la décision de la Cour internationale de Justice sur le Kosovo ne pouvait pas être différente, et que la CIJ a été guidée par la Charte des Nations Unies.

Que pensez-vous que l'Azerbaïdjan doive faire pour la résolution du conflit du Haut-Karabakh ?

- Si l'Azerbaïdjan veut vraiment résoudre le problème du Karabakh, il convient tout d'abord d'assumer la responsabilité des conséquences de la guerre, de cesser son harcèlement contre le Haut-Karabakh et d'ouverture de pourparlers directs avec la RHK en tant que partie à part entière au processus. Bakou doit abandonner ses rodomontades et renoncer aux idées absurdes comme celle qu'un Etat arménien a été construit "sur les terres de l'Azerbaïdjan." Si l'on suit leur logique, on peut présumer que les Azéris vivent dans les territoires arméniens depuis des milliers d'années. Sinon, comment peut-on expliquer leur slogan « Une nation, deux Etats », si les Turcs admettent que leur venue sur ces terres est relativement récente ? Bref, laissons-les compter ces nations et ces Etats là. Le fait demeure que la destruction du patrimoine historique des peuples autochtones de la région ne bénéficie pas à l'Azerbaïdjan, lequel a été artificiellement créé au début du siècle dernier pour revendiquer les terres des autres.

Les médias azerbaïdjanais ont signalé le ‘suicide' du prisonnier arménien Manvel Saribekian ...

- Il s'agit d'un autre acte scandaleux. Un berger est enlevé puis présenté comme un élément subversif et enfin tué. C'est une grave violation du droit humanitaire international. Des représentants du Comité International de la Croix-Rouge n'ont pas été autorisés à rendre visite au captif, ce qui indique clairement que les conditions des chambres de torture azéries ne sont pas meilleures que celles des camps de concentration nazis. Les autorités azerbaidjanaises font peu de cas des personnes, même lorsque cela concerne leur propre population. L'Azerbaïdjan rejette tous les appels en vue de renforcer le cessez-le feu et retirer les tireurs d'élite, parce qu'il s'intéresse à la haine qu'elle inspire, même aux dépens de la vie de ses propres citoyens.

Le Parlement arménien a débattu du dépôt d'un projet de loi sur la reconnaissance de l'indépendance de la RHK par l'Arménie. Quelle est votre opinion sur la question ?

- La République du Haut-Karabakh (Artsakh) est un Etat indépendant qui a résisté à l'agression de l'Azerbaïdjan. La République d'Arménie renforce ses relations avec la RHK en tant que partenaire. La question de la reconnaissance est à l'ordre du jour. Toutefois, le gouvernement arménien ne trouve pas judicieux l'adoption de ce projet de loi pour le moment.

Il y a une rumeur selon laquelle la résolution de l'Azerbaïdjan "sur les territoires occupés" sera examinée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 13 Décembre prochain.

- Cette résolution est morte. Aussi, l'Azerbaïdjan peut en présenter une nouvelle. Les résolutions peuvent être faites et retirées, c'est le droit de chaque pays membre. Quoi qu'il en soit, l'Arménie donnera la réponse adéquate en toute situation.

Source PanArmenian

*

** Pr Vladimir Zakharov **


Vladimir-Zakharov1_medium
La possible guerre en Iran, la non-résolution du conflit du Haut-Karabakh, les ambitions de la Turquie et de la Russie dans le Sud-Caucase, ont rendu la région très explosive. Avec les menaces continues de la Géorgie et de l'Azerbaïdjan à vouloir "restaurer l'intégrité territoriale", la situation ne va pas s'améliorer. Le Directeur de l'Institut d'Etudes Politiques et Sociales de la mer Noire et de la Caspienne, le professeur Vladimir Zakharov commente les derniers développements.

Les menaces de déclencher une guerre contre le Haut-Karabakh sont de plus en plus souvent entendues à Bakou. Pensez-vous qu'Ilham Aliev puisse se lancer dans une nouvelle agression ?

- La situation en Azerbaïdjan n'est pas facile : en négligeant totalement l'opinion publique, les autorités en veulent toujours plus. Le retour du Karabakh est la principale composante de cette farce idéologique de masse, non seulement à Bakou mais aussi à Moscou. La Russie est inondée de livres et d'articles sur l'Azerbaïdjan. Le Président Aliev n'a pas honte d'appeler personnellement les dirigeants de certaines républiques postsoviétiques pour leur demander d'interdire les éditions qui contiennent des informations véridiques sur le Haut-Karabakh [mais non-conformes à la vision de Bakou]. Dans le même temps, l'Azerbaïdjan continue sa course aux armements. Toutefois, il convient de mentionner que ces armes sont plutôt défensives qu'offensives [pour regagner le Karabakh]. L'Azerbaïdjan comprend que la situation concernant l'Iran change d'heure en heure. Aujourd'hui, les forces armées azerbaïdjanaises sont totalement dépendantes des Etats-Unis, l'armement étant livré par Israël et la Turquie. À noter que le montant réel des armes achetées reste secret.

Il y a des bruits comme quoi les États-Unis vont bientôt attaquer l'Iran ...

- Les États-Unis ont effectivement planifié une attaque contre l'Iran. Cependant, en prédisant une guerre, les experts ont oublié un facteur important : l'Iran n'est pas l'Irak et les Américains risquent fort de se trouver coincés, et pire qu'en Afghanistan. En outre, les États-Unis seront incapables de lancer une telle opération sans "préparer le terrain" en Azerbaïdjan et en Géorgie. La Turquie n'est pas considérée comme une plate-forme possible pour cette attaque. L'Azerbaïdjan dispose de 9 aérodromes construits ou reconstruits par les États-Unis. Quoi qu'il en soit, je ne pense pas que la guerre commencera cette année, de plus la route bétonnée Tbilissi-Koutaïssi, qui peut être utilisée comme piste d'aviation, ne sera mise en service qu'au printemps 2011. Il y a des rapports sur la reprise des pourparlers entre les six grandes nations (les cinq membres permanents du Conseil de Sécurité plus l'Allemagne) et l'Iran, mais cela peut se révéler n'être qu'un effet de propagande.

L'Iran ne semble pas non plus rester inactif...

- Sans doute. L'Iran a déjà mis en garde la Géorgie et l'Azerbaïdjan que les premiers tirs seront dirigés sur eux au cas où ils soutiendraient les Etats-Unis. Bakou espère s'appuyer sur les Azéris d'Iran, mais ce n'est pas la même population.

Qu'en est-il de la Turquie qui cherche à renforcer ses positions dans la région ?

- Les États-Unis ont reconnu l'indépendance du Kosovo avec l'accord tacite de l'ONU. Cette étape était essentielle pour une seconde opération, à savoir la formation d'un Kurdistan indépendant et, par conséquent, un redécoupage de la région. Toutefois, la Turquie a eu vent des plans de ses partenaires de l'OTAN et a immédiatement lancé sa plateforme de stabilité et de sécurité régionale, se présentant comme la puissance du Caucase. C'est un défi pour les États-Unis, qui ne cachent pas leur aspiration de dominer la région.

Revenant sur les conflits ... Pensez-vous possible une reprise des hostilités au Karabakh ?

- Les réunions présidentielles et ministérielles continueront, mais cependant sans grand progrès dans un proche avenir. Certains documents seront signés, mais ils ne résoudront pas le conflit. L'Azerbaïdjan rejette toute idée de voir le Haut-Karabakh rentrer dans le processus de négociation, ce qui rend impossible le règlement. Je pense que le cessez-le feu sera violé de temps à autre, mais qu'il n'y aura aucune opération militaire d'envergure. Si l'Azerbaïdjan se risquait dans une nouvelle guerre, il sera immédiatement étiqueté comme agresseur par la communauté internationale. Parallèlement, les rodomontades vont se poursuivre. Dans le cas d'une guerre en Iran, l'Azerbaïdjan peut essayer d'attaquer le Karabakh. Mais les soldats azerbaidjanais ne sont pas performants, aussi Bakou embauchera des mercenaires, comme il l'a fait la fois précédente.

Source PanArmenian

*