Turquie : Les officiers généraux dans le collimateur

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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires
L'Armée n'a plus le vent en poupe depuis quelques temps. Ses interventions, directes ou indirectes, dans la vie politique ont vécu, l'Etat profond n'est plus piloté par elle. Si les militaires participent encore à des cercles de réflexions stratégiques, le dernier mot revient au pouvoir en place, c'est-à-dire au Premier ministre et à son équipe, le tout validé ‘démocratiquement' par les élus AKP (Adalet ve Kalkınma Partisi - Parti Justice et Développement).
Qu'est-ce que cela change pour Monsieur Tout-le-monde ? Quand Monsieur Tout-le-monde est un citoyen d'origine turque, pas grand-chose, sinon être encore plus fier d'être Turc. Par contre, quand Monsieur Tout-le-monde est un citoyen turc de deuxième zone, entendez par là d'origine non-turque, les quelques rares libertés qu'il avait, sont complètements bafouées. Les Grecs à cause de Chypre, les Juifs à cause du problème palestinien, les Kurdes à cause du PKK et les Arméniens à cause du génocide, pourtant bien perpétré. C'est sans doute la traduction sur le terrain du mot ‘Justice' du sigle AKP.
Mettre en place une gouvernance religieuse dans un pays qui se veut laïc, n'est pas chose aisée. Le symbole de la laïcité étant l'Armée, Monsieur Erdogan s'en est pris à elle, d'abord à travers l'affaire Ergenekon, puis de front à travers les limogeages de chefs d'Etat-major. Le risque d'un coup d'Etat est nettement moins élevé qu'en 1980 pour plusieurs raisons. La Turquie occupe 37% de Chypre depuis 1974, elle est toujours choyée par les Etats-Unis car base arrière de l'OTAN face au Moyen-Orient, elle est choyée par l'UE non parce que elle négocie son adhésion, mais parce que c'est la route de transit pour les approvisionnements en gaz, et très récemment par certains pays arabes qui la montrent comme exemple de gouvernement.
Si l'on ajoute à tout cela qu'Ankara fait partie du G20, qu'elle se veut être la puissance régionale, on comprend ses rêves de néo-ottomanisme et son désire de retrouver l'aura qu'elle avait du temps de son empire. L'ennui c'est que l'on n'est plus au XIXème siècle et que la grandeur d'un pays ne se mesure plus au nombre de ses km² ou au nombre de nations ou de peuples qu'il a soumis ou écrasés.

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En s'attaquant à l'armée, le Premier ministre turc joue avec le feu
Les officiers généraux sont toujours malmenés en Turquie. Il y a quelques jours, un mandat d'arrêt a été lancé contre un commandant des forces navales, Deniz Cora. L'amiral est accusé d'avoir été impliqué dans un complot visant à assassiner l'ancien commandant en chef des Forces navales, l'amiral Metin Atac ainsi que son successeur, l'amiral Eşref Uğur Yigit. Plus le temps passe, et plus les détails du coup de balai du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, se font jour. Par exemple, des sources turques et occidentales indiquent que plus de la moitié des officiers généraux arrêtés sont Dönmeh (des Juifs convertis à l'islam).
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Un tel ‘nettoyage' n'est pas un crime en soi. Cette règle s'applique à l'ensemble du monde civilisé, y compris à l'UE, à laquelle la Turquie est si désireuse d'adhérer. Mais en Turquie, qui après les pogroms d'Istanbul de 1955, est devenue un pays mono-ethnique musulmane, ces changements peuvent jouer un rôle devant la cour, si ces généraux devaient vraiment aller jusqu'au procès.
A ce jour, les chrétiens représentent moins de 1% de la population en Turquie, alors qu'avant la Première Guerre mondiale, ils représentaient un tiers. La population actuelle est composée d'environ 10.000 Assyriens, 60.000 Arméniens, 2000 Grecs, et 20.000 Juifs. Dans les circonstances actuelles, alors que les Turcs sont confrontés à la nécessité de l'identité nationale, de telles questions apparaîtront encore et toujours. La tradition sur la nomination de Juifs et de Chrétiens à des postes supérieurs au sein du gouvernement remonte à l'époque de l'Empire ottoman. Presque tous les vizirs étaient des chrétiens, moins souvent des Juifs. N'oublions pas que les dirigeants Jeunes Turcs et le fondateur de la République turque, Atatürk, étaient également considérés comme Dönmeh. Tous étaient de Salonique, où se trouvait la plus grande communauté juive de l'Empire ottoman. Cependant, ces faits ne sont pas étalés au grand jour dans les biographies officielles. Parler à haute voix de leur identité ethnique en Turquie, c'est aller au devant de gros ennuis, surtout si le politicien en question est d'origine arménienne ou kurde. On se souvient encore du "scandale" autour des gènes arméniens qu'aurait le leader du Parti Populaire Républicain (CHP), Kemal Kılıçdaroğlu, ou de l'ancêtre arménien du président Abdullah Gül. Par ailleurs, l'actuel Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, serait selon certaines sources un Laze. Les Lazes sont de race blanche vivant au Lazistan (Lazica, Lazeti), dont la plus grande partie du territoire se désormais en Turquie (Rize ili). L'administration les a comptabilisés comme Turcs, car de religion sunnite. C'est pourquoi leur nombre exact n'est pas connu (les estimations varient entre 50.000 et 500.000). Mais à l'époque byzantine, ils étaient chrétiens.
Les généraux sont accusés mais pas seulement à cause de leur origine. Ainsi, selon CNN Türk, l'ancien chef d'état-major, le général Ilker Başbuğ, aurait publié un mémorandum en ligne qui indiquerait la création de 42 sites Internet pour faire de la propagande contre le Parti Justice et Développement (AKP), contre le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PPK), mais également contre les Grecs et les Arméniens.
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Selon le Vice-premier ministre, Hussein Celik, le mémorandum sur Internet est l'un des incidents les plus intéressants de l'histoire turque et il est dur à avaler. "Les forces armées turques représentent une communauté d'un million d'individus du haut en bas de l'échelle, et parmi eux il peut y avoir un millier de personnes qui cherchent à fomenter un coup d'État. Aussi, vous mettez l'institution sous soupçons si vous protégez institutionnellement ces personnes. Je ne veux accuser personne. Le processus judiciaire suit son cours et j'espère qu'il révélera qui a raison et qui a tort," a déclaré Çelik.
Le Premier ministre turc se rend compte clairement qu'il peut partager le sort de son prédécesseur, Adnan Menderes, pendu en 1960 [par les militaires] à cause des troubles à Istanbul et pour son "incapacité" à diriger le pays. Après l'exécution de Menderes, la Turquie a connu cinq coups d'Etat militaires, la dernière en 1980, qui a porté au pouvoir Kenan Evren. La question est de savoir si les généraux fomenteront un autre coup d'Etat pour renverser le détesté Erdogan et reprendre le contrôle sur le pays ?
Karine Ter-SahakianPanArmenian.net