La Turquie recule à très grands pas de l’Europe


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Traduction Gérard Merdjanian – commentaires



Ce qu’il y a de bien avec le gouvernement turc c’est que les surprises sont toujours de courte durée, le naturel reprenant rapidement le dessus. On ne se débarrasse pas facilement de siècle d’atavisme. La légère couche de vernis qu’Ankara s’est passée pour donner le change aux Occidentaux, UE en tête, fonctionne à merveille. La poudre peut s’utiliser de diverses façons et notamment aux yeux des technocrates de Bruxelles, qui n’ont pas au demeurant grand-chose à voir avec les peuples d’Europe.  



Donc Messieurs Erdogan et consorts, dans le cadre de leur lente marche vers les valeurs de l’Europe – démocratie, libertés, Droits de l’homme, etc. – en vue d’y adhérer un jour, commencent à trouver le temps long. Non seulement ils doivent faire des risettes à la communauté occidentale, mais de surcroit ils doivent perdre leurs habitudes séculaires, c'est-à-dire s’en prendre à leurs minorités – à l’époque c’était les peuples opprimés - qu’elles soient chrétiennes, musulmanes ou juives.



Il y a quelques jours, Ankara s’est fait épinglé, une fois n’est pas coutume, par la Cour européenne des Droits de l’homme sur la liberté d’expression (Art. 10) suite à la plainte déposée par le Dr Taner Akçam pour usage abusif de l’article 301 du Code pénal turc (atteinte à la turquicité), pour avoir parlé du génocide arménien - dire ‘génocide’ pour les massacres de masse d’Arméniens en 1915 est un délit, sauf à faire précéder le terme par ‘sozde’ (soi-disant) - . Si le problème arménien est une épine dans le pied des dirigeants turcs de tous bords, le fond de commerce du gouvernement depuis plusieurs années reste le problème kurde.



Dans leur cas, ce n’est pas l’article 301 qui est utilisé, puisque ce sont officiellement des Turcs et non une minorité, mais les lois sur la liberté d’expression ou celles sur les partis politiques. Le gouvernement turc fait subir à la population kurde, forte de 15 millions d’âmes, les revers qu’il subit avec les combattants du PKK. Et sous couvert de combattre ces personnes, Erdogan étant son filet à tous les fauteurs de trouble, kurdes et non-kurdes, journalistes, universitaires, bref tous les empêcheurs de tourner en rond. Non mais, charbonnier est maitre chez soi !



D’ailleurs, il ne faut pas dire ‘combattant’ mais ‘terroriste’, terme que les dirigeants turcs ont réussi à faire passer auprès de la communauté internationale, et en premier lieu auprès des Etats-Unis et des Européens. D’ailleurs la France ne s’y est pas trompée, puisqu’elle vient d’envoyer son ministre de l’intérieur, Claude Guéant, proposer le savoir-faire français des forces de sécurité dans le domaine. Cela rappelle une certaine MAM proposant le même type de service au régime de Ben-Ali en Janvier 2011.



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Dans le cadre de l'opération policière contre le KCK (Union des communautés du Kurdistan), la police turque a arrêté le 28 octobre 2011 à Istanbul, Ragip Zarakolu, proéminent défenseur des droits de l'Homme et directeur de la maison d'édition Belge. Zarakolu est également président du Comité de liberté de publication de l'Association des éditeurs de Turquie.

Son fils, Deniz Zarakolu, éditeur de la Maison d'édition Belge, avait déjà été mis en état d'arrestation le 4 octobre 2011 à Istanbul.

La Maison d'édition Belge a publié plusieurs livres sur l'oppression des minorités nationales de Turquie et sur le génocide des Arméniens.

Le même jour, dans le cadre de la même opération policière, le professeur Büşra Ersanlı, experte en droit constitutionnel et membre du Parti pour la paix et la démocratie (BDP), a été arrêtée avec des dizaines d'opposants kurdes.

Les arrestations massives visant ce parti pro-kurde se poursuivent de façon frénétique. La police a procédé à des perquisitions simultanées dans les locaux et l’Académie du BDP à Istanbul, arrêtant 70 personnes dans le cadre de l’affaire KCK, accusée d’être la branche civile du PKK.

Début octobre, plus de 100 membres du BDP avaient été arrêtés à Istanbul et parmi eux 98 personnes, dont Deniz Zarakolu, fils du Ragip Zarakolu et l’auteur Aziz Tunc, avaient été écrouées.

Le premier est un traducteur de plusieurs œuvres dont "La philosophie politique" de Thomas Hobbes et le dernier est connu pour son livre sur le massacre de Maras, désigné comme le livre du mois par le PEN.

Alors que cinq députés kurdes sont toujours en prison et le siège d’un sixième ayant été invalidé par les autorités après les élections législatives du 12 juin, la justice veut enfermer les autres députés BDP qui sont encore en liberté. Des enquêtes ont été ouvertes samedi 29 octobre par le Parquet d’Ankara contre trois anciens députés BDP, Osman Ozcelik, Fatma Kurtulan et Sevahir Bayindir, en vertu de l’article 117 de la Loi sur les partis politiques.

Des milliers de personnes ont été arrêtées arbitrairement dans le cadre de l’affaire KCK, considérées comme des comploteurs politiques kurdes. Cette affaire est devenue une arme redoutable du gouvernement AKP du premier ministre Recep Tayyip Erdogan pour intimider et enfermer tous les opposants kurdes.

Plus de 4500 membres du BDP ont été arrêtés au cours de ces six derniers mois. Parmi eux, plus de 1600 personnes ont été écrouées.

Aujourd'hui, des milliers de membres actifs dont 18 maires sur 99 et six députés BDP sont en prison. Plus de 500 élus ont été enfermés dans la seule ville de Sirnak depuis le grand succès du parti kurde aux élections locales du 29 mars 2009.

La Turquie est aujourd’hui la plus grande prison pour les élus et les journalistes. Selon les organisations de soutien aux journalistes emprisonnés, près de 70 journalistes sont toujours en prison. (actukurde.fr, 29 octobre 2011)



Extrait de info-turk.be



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* Libre opinion *




L’Arménie et la Turquie se retrouvent à la case départ



Il y a deux ans, sous la forte pression des États-Unis, mais également de la Russie et de l'UE, les protocoles arméno-turcs sur la normalisation des relations et sur l'ouverture de la frontière, ont été signés à Zurich. Aujourd'hui, comme hier, les documents sont dans un tiroir. De plus, la Turquie se démène pour les enterrer. Elle y réussit quelque peu, et l'Arménie a sa part dans cette réussite ...



Concernant la partie la moins intéressante du projet, l'Arménie a fait tout ce qui était en son pouvoir. Elle a envoyé les protocoles à la Cour constitutionnelle afin de déterminer leur conformité vis-à-vis de la Constitution. Le président Serge Sarkissian s’est lancé dans une tournée sans précédent de la diaspora pour connaitre l'opinion de la majorité des Arméniens. Bref, notre pays a fait son devoir dans cette Affaire, tout en résistant à la pression des Etats-Unis, très intéressés par l’aboutissement de son projet. Washington a cru et croit toujours que la normalisation des relations arméno-turques deviendra une victoire du département d'Etat et du président Obama, dans le contexte général des échecs diplomatiques et économiques qui ont récemment secoué l'Amérique. Il s'agit du «printemps arabe», dont les Etats-Unis ont sous-estimé le premier acte, alors ils n’ont trouvé rien de mieux que d'intervenir dans la guerre civile en Libye, si l’on veut appeler un chat un chat.



Actuellement, la situation au Moyen-Orient n'est pas favorable à l'ouverture des frontières, en particulier celle arméno-turque. La raison n'est pas tant la position de Bakou, qui perçoit tout ce qui concerne l'Arménie comme une attaque contre lui. La raison en est la constante guerre sanglante entre le gouvernement turc et la population kurde du pays, qui vit près de la frontière arménienne. Même si en supposant que la frontière soit ouverte, on peut imaginer aisément les étapes suivantes : la Turquie déclarera immédiatement que les Arméniens soutiennent les rebelles kurdes et commencera une opération frontalière, comme en Irak du Nord. Il n'y a aucune garantie que la Turquie respecte le territoire souverain de l'Arménie et n’y pénètre pas pour chasser les rebelles kurdes. Et ce n'est que l'une des conséquences potentielles, mais réelles. Un autre problème très sérieux est l'expansion économique. Si avec une frontière fermée, l'Arménie est inondée de textiles turcs, les matériaux de construction ou d’appareils ménagers, il n’est pas difficile d'imaginer ce qui se passera lorsque les camions mettront à peine 4 heures en comparaison aux 15 d’aujourd'hui ... l'exemple de la Géorgie est sous nos yeux, où les entreprises turques ont totalement éradiqué les fabricants locaux.



L'Arménie doit être consciente que les bases militaires turques sont positionnées dans l’Est du pays, près des frontières, ciblant naturellement les Kurdes et les Arméniens. C'est une réalité qui ne devrait pas être ignorée. Et tout ce que les dirigeants de Erevan voient avec l’ouverture de la frontière c’est qu’en adhérant à l'Union européenne la Turquie deviendra la porte d’entrée de l’UE, ce qui n'est rien d'autre qu’une rhétorique vide et le refus de voir le danger. Sous réserve, bien évidemment, qu’un jour la Turquie intègre l'UE. Cependant, personne ne s'attend à la voir dans l'UE, tout au moins tant que le président Nicolas Sarkozy, et/ou la chancelière Angela Merkel, seront au pouvoir. Les pays européens semblent avoir finalement compris ce qui se passera si des dizaines de millions de musulmans, principalement des Turcs, déferlent sur l’Europe.



Néanmoins, les parties intéressées continuent leurs tentatives de relancer le processus arméno-turc dans l'espoir que les deux pays arriveront à une entente. Et les obstacles insurmontables tels - la non-reconnaissance du génocide arménien ou l'ingérence dans le conflit du Karabakh - ne sont même pas pris en compte. Erevan et Ankara, et tous les autres participants à la signature des Protocoles, sont bien conscients que la Turquie devra "se réconcilier avec sa propre histoire", sinon la normalisation des relations restera illusoire. En outre, le gouvernement de M. Erdogan a tellement parlé de "solidarité avec le peuple azerbaïdjanais sur la question du Karabakh" qu’il sera très difficile de faire marche arrière. La seule chose qui peut faire avancer le processus sur le terrain est, à notre avis, une transformation du Grand Moyen-Orient, dans lequel il n'y aurait pas de place pour Erdogan.