Haut-Karabakh : Changement ou pas du format des négociations ?



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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

L’arrivée de l’UE va-t-elle changer quoi que ce soit dans la résolution du conflit du Haut-Karabakh. Dans les faits, pas grand choses, pour ne pas dire rien du tout. Pourquoi ?

La première de ces raisons, est la distance et plus exactement le lieu où se situe le différend arméno-azéri : le Sud-Caucase, pire, à moins de 100km de la frontière iranienne. C’est-à-dire dans une région où la moindre ‘étincelle’ risque d’embraser la poudrière. Ce n’est pas parce que l’UE mène un programme de partenariat oriental avec six pays de l’ex-URSS, qu’elle arrivera à résoudre le problème. Le Haut-Karabakh, tout comme l’Abkhazie ou l’Ossétie du Sud, ne se trouve pas dans la sphère européenne, comme le sont le Kosovo ou la Bosnie. Et ce n’est pas parce que le Gal de Gaule avait dit l’Europe va de l’Atlantique à l’Oural que c’est le cas.

La seconde, beaucoup plus importante, c’est que l’UE a essentiellement un pouvoir économique, n’ayant aucune gouvernance politique et encore moins militaire. Il faut qu’à chaque fois 27 pays se mettent d’accord pour mettre en œuvre une action. Et pour nombre de sujets, il faut l’unanimité des 27 pour que le projet devienne réalité. Il suffit de la regarder dans ses actions internationales pour voir qu’elle ne parle pas d’une seule voix, que ce soit sur le dossier irakien, turc ou arménien. Chypre, pourtant Etat-membre de l’Union européenne, attend toujours que Bruxelles règle son problème avec la Turquie !

La seule chose que fera l’UE si par malchance elle prend la coprésidence du Groupe de Minsk de l’OSCE, sous réserve que l’OSCE et les parties concernées donnent leur accord, ce sera de consolider ses intérêts, clairement de s’assurer du bon acheminement des produits énergétiques. Les déclarations généreuses sur les droits de l’homme ou les valeurs démocratiques seront totalement inefficaces pour assurer la sécurité physique des Karabakhis. Il suffit de regarder leurs effets sur les dirigeants turcs depuis 2005.

"L'Europe, à l'évidence, n'existe pas. Elle n'est ni un continent, ni une culture, ni un peuple, ni une histoire. Elle n'est définie ni par une frontière unique ni par un destin ou un rêve communs. Il existe en revanche des Europes, qui s'échappent lorsqu'on cherche à en appréhender trop précisément les contours." (Jacques Attali)


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La Commission des Affaires étrangères du Parlement européen a examiné le 22 Mars dernier un document proposant de remplacer la France par l'Union européenne dans le groupe Minsk de l'OSCE. Le projet est susceptible d'être discuté dans un mois lors de la séance plénière du PE.

Le coprésident américain du groupe de Minsk de l’OSCE, Robert Bradke, avait pour sa part annoncé que le format actuel du Groupe a obtenu des résultats sur certains points importants concernant le processus de règlement du conflit du Haut-Karabakh ; et d’ajouter :
"Je ne pense pas que le problème de notre incapacité à parvenir à un accord de paix soit du au format du Groupe de Minsk ou au format des coprésidents. Le problème réside dans sur la grande complexité des questions. À ce stade des négociations, l'un des défis actuels est le séquençage et l'interrelation des étapes entre elles. Les différences entre les côtés sont très grandes, et il y a un net manque de confiance. La modification du format ne répondra à aucun de ces points. Les choses vont continuer." D’ailleurs a-t-il souligné : "je pense que plutôt que de recommencer à partir de nouvelles perspectives avec un nouveau format, les côtés nous ont dit qu'ils veulent travailler dans ce format et qu'ils l’acceptent."

On se souvient que l’Azerbaïdjan n'a pas laissé l'OSCE créer une Commission chargée d'observer la situation sur la ligne de contact Karabakh-Azerbaïdjan pour examiner les violations du cessez-le feu qui s'y produisent, en menaçant de voter ‘contre’ le budget 2012 de l’Organisation.

A noter également que de nombreux responsables européens ont toujours affirmé que l'UE veut juste aider les efforts du Groupe de Minsk et qu’il n'a jamais été question de changer le format des négociations. Dans d’autres cercles, proches des positions azéries, la possibilité de remplacer la France par l'UE est évoquée.

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A l'occasion du 20e anniversaire de la création du Groupe de Minsk, le ministre, Edouard Nalbandian, a publié la déclaration suivante :

"Il y a 20 ans, le 24 Mars, par décision du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), le processus de Minsk pour le règlement du conflit du Haut-Karabakh a été lancé. En conséquence, le Groupe de Minsk et ses trois coprésidents ont été formés avec l'objectif de parvenir à un règlement pacifique par voie de négociations, sur la base des principes fondamentaux du droit international.

La coprésidence - Russie, Etats-Unis et France -, est la seule structure de médiation, avec un mandat officiel de la communauté internationale, devant traiter de la résolution du conflit du Haut-Karabakh.

Les coprésidents du Groupe de Minsk ont
​​apporté une contribution importante à la préservation du cessez-le-feu, à la réduction de la tension dans la zone de conflit, à la poursuite des négociations entre les parties et à l’élaboration de principes pour le règlement pacifique du conflit. Dans la préservation du cessez-le-feu, les coprésidents coopèrent étroitement avec le Représentant personnel du Président de l'OSCE en exercice, qui a également un rôle important au maintien du cessez-le-feu.

Nous remercions les coprésidents pour les efforts déployés et pour l’élaboration des principes et des éléments comme base de travail pour le règlement du problème, et qui se reflètent dans les déclarations conjointes des présidents Medvedev, Obama et Sarkozy lors des Sommets du G8 de L'Aquila, de Muskoka et de Deauville.

Le Président de la Russie s’est efforcé systématiquement, avec le plein appui des présidents des Etats-Unis et de la France, de rapprocher les positions des parties sur les principes de base, ce qui a donné certains résultats. Malgré les attentes de la communauté internationale et l'attitude constructive de l'Arménie, la réunion de Kazan initiée par le président Medvedev n’a pas donné la percée espérée.

Si une percée n'a pas été obtenue dans le règlement du conflit jusqu'à aujourd'hui, ce n'est pas à cause du manque des efforts déployés par les coprésidents, mais en raison de l'approche non constructive par l'un des côtés, qui a rejeté les propositions formulées par les coprésidents, qui s’est illusionné à résoudre le problème par l'utilisation de la force, et qui n'est pas disposé à négocier directement avec le Haut-Karabakh.

Engagé à résoudre le problème du Haut-Karabakh par des moyens exclusivement pacifiques, l'Arménie apprécie hautement les efforts continus et cohérents des pays coprésidents - la Russie, les Etats-Unis et la France, et estime que grâce aux efforts de médiation dans ce format il sera possible de parvenir à un règlement du conflit du Haut-Karabakh."

* Brèves Arménie *


Le 22 Mars les journées de la francophonie ont débuté en Arménie, avec une réception au ministère des Affaires étrangères. Etaient présents la ministre de la Diaspora, Héranouche Hagopian, des députés arméniens, des ambassadeurs, des dirigeants des organisations françaises travaillant en Arménie et des représentants des centres d'enseignement.

Le ministre Nalbandian a accueilli les invités, et a déclaré

"Il m’est très agréable de vous accueillir au sein du ministère des Affaires étrangères. Depuis de nombreuses années l'Arménie sollicite l'adhésion complète à l'organisation internationale de la francophone. L'Arménie renforce sa position année par année dans le monde francophone et exprime son attachement aux valeurs francophones. La conférence des Maires francophones qui a eu lieu à Erevan en Octobre 2011, regroupant plus de 150 maires, est l'une des preuves les plus récentes. Elle a donné une autre occasion aux villes arméniennes de travailler avec leurs homologues francophones.

Du 15 Mars au 21 Avril, plus de 250 événements manifestations culturelles, littéraires, éducatives et institutionnelles vont se dérouler en Arménie."

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Le 23 Mars le ministre arménien des Affaires étrangères, Edouard Nalbandian, a visité l'ambassade de France en Arménie à l'occasion du 20e anniversaire de la coopération diplomatique Arménie-France. Le ministre a rencontré des étudiants de langue française qui étudient dans les universités arméniennes.

"Les  relations Arméno-Françaises sont basées sur les meilleures traditions de l'amitié de deux nations et grâce aux efforts conjoints, nous avons réussi à donner un nouvel élan à nos relations au cours de ces vingt ans. Le dialogue politique de haut niveau est établi, de nombreuses visites bilatérales de responsables de haut niveau ont eu lieu, une coopération étroite dans la sphère juridique est établie, nous avons des liens étroits entre les deux Parlements, les liens économiques sont de plus en plus importants, les centres éducatifs français ont un rôle important dans le système éducatif arménien et l’universitaire française d’Erevan en est le meilleur exemple. Les liens culturels ont commencé à se développer fortement en particulier dans les années 2006-2007 lors de l'année de l’Arménie en France. Plus de 1000 manifestations consacrées à la culture arménienne ont été organisées dans différentes villes françaises.

Les visites bilatérales des Présidents Serge Sarkissian et Nicolas Sarkozy l'an dernier ont symbolisé le niveau élevé de coopération de ces vingt ans. Je tiens à rappeler que les deux présidents ont assisté au concert de Charles Aznavour à l’Olympia, qui marquait le 20e anniversaire de l'indépendance arménienne et des relations arméno-françaises diplomatiques.

La France est le pays qui a un rôle important dans le processus de règlement du conflit du Karabakh dans le groupe de Minsk de l'OSCE. La France est le pays qui a donné refuge à des milliers d'Arméniens fuyant le génocide et qui est devenue une seconde patrie pour eux. C’est le premier pays à avoir reconnu le génocide arménien par la force de la loi, c’est le pays où la nation est sûre que la négation des crimes contre l'humanité doit être punie et je souhaite exprimer ma profonde gratitude pour tous ces gestes," a déclaré le ministre arménien.

L’ambassadeur d'Arménie en France, Viken Tchidédjian, a souligné à son tour que les relations entre les deux pays sont vraiment chaleureuses et sensibles, et que l'Arménie est l'un des rares pays à avoir une place particulière dans la société française.

Lors de la réunion Edouard Nalbandian et l'ambassadeur de France, Henry Reynaud, ont répondu aux questions des étudiants.

* Brève Azerbaïdjan *


Le chef de l’Organisation de Libération du Karabakh (KLO) compte empêcher les députés arméniens de participer à la session plénière de l'Assemblée parlementaire Euronest qui doit se dérouler en Azerbaïdjan.

"Le KLO ne ménagera aucun effort pour empêcher la visite des parlementaires arméniens en Azerbaïdjan. Des actions de protestation seront organisées entre autres mesures," a déclaré Akif Nagi.

"Nous aimerions participer à la session Euronest si des garanties de sécurité nous sont fournies. Participer à l'événement serait une étape normale, si la session était organisée par Euronest, plutôt que par l'Azerbaïdjan," a déclaré Artak Zakarian.

* Le coin des experts *

* Alexandre Manassian


"L'Azerbaïdjan utilise ses soutiens pour remplacer la France par l'UE dans le processus de règlement de la question du Haut-Karabakh. Même si le flux des pourparlers change, la réussite ou l’échec dépendra de la politique, et nous continuerons," a déclaré l'analyste politique Alexandre Manassian, pour qui l'UE ne peut pas entrer dans le processus de négociation.

Aussi,

"Il est nécessaire de déclarer que l'Azerbaïdjan a été reconnu avec des frontières illégitimes, avec des territoires ne lui appartenant pas, et alors on pourra régler le conflit du Karabakh conformément au droit international.

Les deux principes - intégrité territoriale et autodétermination des peuples -  sont sur le même plan. L'Azerbaïdjan est un envahisseur qui a empiété sur le territoire du Karabakh, et le principe de l'intégrité territoriale ne peut pas s’appliquer au Haut-Karabakh, car détaché légalement [en conformité avec la loi soviétique] de la RSS d’Azerbaïdjan en 1988."

L’expert a en outre exhorté les médiateurs de voir l'Artsakh dans le cadre de l'autodétermination, de lui reconnaître la liberté de choix et donc l'indépendance.

Revenant sur la déclaration du Conseil constitutionnel français rejetant la loi adoptée le 23 Janvier par le Parlement sur la pénalisation des dénis de génocides comme étant :
"une violation inconstitutionnelle de la pratique de la liberté d'expression et de communication",
Manassian a indiqué qu’il faut rappeler au monde sa part de culpabilité dans les processus de l'histoire arménienne. "
Si la communauté internationale refuse de pénaliser la négation du génocide, cela signifie qu'elle légalise le génocide."

Il a exhorté la France et la communauté internationale d'aborder la question de la pénalisation la négation du génocide dans cette perspective.

L'expert a également indiqué que la plaie saignante des pogroms de Soumgaït et de Bakou est la principale raison du refus de l'Arménie de participer au concours Eurovision de la chanson de 2012 à Bakou, et non les excuses insignifiantes ou les exigences de sécurité.

* Andrei Areshev


Expert confirmé à l'Institut d'études politiques et sociales des mer Noire et mer Caspienne, Andrei Areshev a commenté le document adopté par le Parlement européen sur l'Arménie proposant de remplacer la coprésidence française dans le Groupe de Minsk de l'OSCE par l'Union européenne.

Cette décision est conditionnée par la volonté de l'UE de faire avancer ses positions dans la région.

Selon l'expert, si la France en tant qu’État membre de l'UE représente de facto la position de l'UE, cela signifie que certaines positions de la France ne sont pas partagées par d’autres Etats membres, déclenchant le mécontentement des lobbies européens. C’est la raison pour laquelle le projet sera mis aux voix, avec une probabilité d'être approuvé sous la pression de Bruxelles.

Areshev pense peu probable qu’il y ait des changements dans la résolution du conflit du Karabakh, bien que la position des Etats membres de l'UE diffère sur la question.

* Ruben Zargarian


À l'Institut russe d'études stratégiques (RISS) de Moscou le 21 Mars, une organisation scientifique internationale a réalisé une table ronde sur : «Le facteur turc dans le Moyen-Orient et dans l'espace postsoviétique». L'événement visait à la compréhension scientifique et pratique de la politique de la Turquie d'aujourd'hui dans la grande région du Caucase et dans les territoires de l'ex-Union soviétique dans le contexte de la sécurité nationale de la Russie.

Les sujets suivants ont été abordés : - Les questions de sécurité internationale dans le contexte régional ; -  la Turquie et le Grand Moyen-Orient ; les facteurs internes de l'instabilité dans l'État turc ; - le conflit du Haut-Karabakh : la position de la Turquie ; - les perspectives des projets d'intégration au Caucase avec la participation de la Fédération de Russie ; - la Turquie, et d'autres pays de la région ; - l'influence religieuse et la politique publique de la Turquie dans l'espace postsoviétique et dans les régions turcophones de la Russie.

Plus de soixante experts et journalistes ont participé à des tables rondes ; treize d'entre eux ont présenté des rapports.

Au nom de la République du Haut-Karabakh, le Conseiller auprès du ministre des Affaires étrangères de la RHK, et doctorant en histoire, Ruben Zargarian a remis un rapport intitulé "Le Haut-Karabakh et la Russie dans les projets d'intégration et de la position de la Turquie sur le conflit du Karabakh", qui a donné lieu à de multiples débats.

Dans son rapport, Ruben Zargarian analyse les perspectives de participation de la RHK et de la Russie dans les civilisations néo-byzantines de la Méditerranée orientale. Il souligne notamment que la formation réussie du gouvernement du Karabakh a été l'un des facteurs systémiques de la stabilité et du développement dans la région.

L’historien aborde les questions fondamentales du règlement du conflit entre l’Azerbaïdjan et le Karabakh, la politique destructrice et agressive de l'Azerbaïdjan, et la position juridique internationale de la RHK. Ainsi, les revendications territoriales de l'Azerbaïdjan sur les sept districts intégrés à la RHK doivent être considérées comme inacceptables, inappropriées, et entravent la réalisation d'un accord de paix entre la RHK et l'Azerbaïdjan. Selon lui, la leçon du conflit non-résolu, les menaces croissantes de l'administration azérie de reprendre les territoires par la force, et les provocations militaires systématiques de Bakou sur la frontière, indiquent que les négociations ne suffisent pas à assurer la paix et de règlement du conflit, et qu’il faudrait une attitude responsable à l'égard du droit international.

"
L'administration de Bakou est ouvertement ignorante du droit international en faisant des tentatives illégales concernant la souveraineté et l'intégrité territoriale de la RHK", a déclaré le Conseiller, indiquant que : "un règlement civilisé et stable du conflit doit être fondé sur les cinq principes suivants : - La détermination du statut de la RHK est le droit exclusif du peuple du Haut-Karabakh ; - La reconnaissance définitive de l'indépendance de la RHK par la communauté internationale ; - La reconnaissance mutuelle de l'indépendance de la RHK et de la République d’Azerbaïdjan ; - La restauration de l'intégrité territoriale du Haut-Karabakh ; - La résolution pacifique des différends avec le non-usage de la force ou de sa menace."

Un chapitre spécifique a été consacré à la politique de confrontation de la Turquie à l'égard de la RHK et de l'Arménie. L’expert indique qu'il serait plus rentable pour la Turquie de remplacer sa position anti-Haut-Karabakh et anti-Arménie par une politique de coopération avec ces deux Etats. Ruben Zargarian relève au passage que certains politologues turcs ont réalisé l'irréversibilité de l'indépendance de la RHK, et ont souligné que comme mesure de confiance et geste de bonne volonté, la Turquie pourrait reconnaître pleinement l'indépendance de la République du Haut-Karabakh et établir des relations diplomatiques avec elle, ce qui contribuerait à faire progresser la question du règlement du conflit.

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Extrait de Times, de Armenpress et de PanArmenian