Conflit arméno-azerbaidjanais : Des dérapages volontaires



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Traduction Gérard Merdjanian - commentaires

"Malheureusement de tels incidents se produiront jusqu'à ce que le conflit soit résolu," a déclaré le ministre azerbaidjanais Elmar Mammadyarov après la série de décès survenue en deux jours à la frontière arméno-azérie.

La phrase peut paraître anodine, mais elle est lourde de sens quand on sait que :
-      le président Ilham Aliev a toujours refusé de retiré ses snippers de la ligne de front ;
-      que la délégation azérie à l’OSCE a refusé de voter l’augmentation du budget des Observateurs qui se rendent sur la dite ligne pour vérifier les manquements éventuels au cessez-le-feu, et que le cas contraire elle voterait ‘contre’ le budget général de l’année ;
-      qu’une fois sur deux, les Observateurs de l’OSCE ne sont pas conduits aux avant-postes par les officiels azerbaidjanais, mais doivent se contenter des positions-arrière. On se demande pourquoi ?

Alors qu’officiellement lors des réunions trilatérales entre les présidents arménien, russe et azéri, Ilham Aliev accepte les principes de bases qui stipulent entre autres le non-usage de la force et le droit à l’autodétermination.

Sans doute que pour Monsieur Aliev et consort, violer le cessez-le-feu en abattant de temps à autre un soldat arménien, voire un paysan qui laboure son champ, n’est pas faire usage de la force.

Nul doute que pour Monsieur Aliev et consort, le droit à l’autodétermination des peuples signifie passer d’une autonomie à une grande autonomie.

Quant à la notion d’intégrité territoriale, Monsieur Aliev et consort se basent exclusivement sur le territoire de la RSS d’Azerbaïdjan d’avant les événements, alors que pour la partie arménienne, c’est le territoire de la République d’Azerbaïdjan au moment où elle a déclaré son indépendance le 30 Août 1991. C’est-à-dire sans le Haut-Karabakh puisque cette région autonome de la RSS d’Azerbaïdjan avait demandé sa sécession le 20 février 1988 conformément aux lois soviétiques en vigueur.

Il est clair qu’aucun document ne pourra être signé dans ces conditions si chacune des parties donne un sens différent à un même mot.

"La liberté appartient à ceux qui l’ont conquise," disait André Malraux, et les Karabakhis ont versé beaucoup de sang pour ce faire.





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Cinq soldats azerbaïdjanais ont été tués mardi matin, lors de combats meurtriers à la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan pour la deuxième journée consécutive. Le ministère de la Défense azéri a confirmé ces décès. De son côté, le ministère arménien de la Défense a aussi confirmé des combats meurtriers dans la région de Davouch, mais a nié toute incursion transfrontalière par les forces arméniennes.

"La situation est calme dans le village. Il n’y a pas eu de tirs au cours de la journée, les gens ne sont pas paniqués et vaquent à leurs activités quotidiennes," a déclaré le maire du village de Voskepar, Hratch Aghbalian.

La situation est aussi calme à Tchinari, suite à l’attaque lundi du commando azéri qui a fait trois morts arméniens. Concernant les blessés, un communiqué indique que leur état est satisfaisant. Une enquête est en cours.

Le ministre des Affaires étrangères, Elmar Mammadyarov, a déclaré que les tirs mortels compliquent les efforts internationaux pour négocier un règlement pacifique du conflit du Karabakh. "Malheureusement de tels incidents se produiront jusqu'à ce que le conflit soit résolu."

Il a d’autre part annoncé que lui et Nalbandian se réuniront à Paris le 18 Juin en présence des trois médiateurs du Groupe de Minsk de l'OSCE - Etats-Unis, Russie et France. Il a indiqué qu’il rappellera que "le maintien du statu quo est inacceptable."

Dans ses propos, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton avait également parlé de la prochaine rencontre Mammadyarov-Nalbandian. "D’ici deux semaines, les ministres des Affaires étrangères se réuniront, et nous allons faire de nouvelles propositions parce que nous pensons que c'est dans l'intérêt de tous de se concentrer sur l’obtention d'une solution et d’éviter l'escalade de la violence."

* Le coin des experts *

* Association VERITAS

L'Association des politologues de l'Arménie (VERITAS) a publié une déclaration adressée à la Secrétaire d'Etat américain et à ses collègues coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE.

"Dans sa déclaration de Mai 2012, l’Association VERITAS attirait l'attention de la communauté internationale sur le fait qu'un Haut-fonctionnaire du bureau du Président azerbaïdjanais a publié une déclaration signifiant que la revendication territoriale de la République d'Arménie était synchronisée avec l'arrivée le 11 mai 2012 à Bakou des coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE.

Compte tenu que le régime d’Ilham Aliev a le contrôle total de l'État et des institutions publiques azerbaïdjanais, il ne fait aucun doute que la provocation avait été commanditée par le Président Aliev lui-même.

Hier - le jour même de l'arrivée de la Secrétaire d’État des États-Unis à Erevan – les forces armées azerbaïdjanaises ont effectué un raid meurtrier sur le territoire arménien, conformément aux ordres d’Ilham Aliev, tuant trois militaires et blessant cinq autres.

Par suite de la course aux armements, non-contrôlée par la communauté internationale dans la zone de conflit du Karabakh, l'assassinat perfide de citoyens sur le territoire arménien synchronisé avec la visite d’un Haut responsable des Etats-Unis, pays coprésident du groupe de Minsk de l’OSCE, est un défi cynique à la paix et à la stabilité du Sud-Caucase et à la région environnante.

L'Association VERITAS invite l’honorable Secrétaire d’Etat à condamner dans les termes les plus forts les actions provocatrices de l'Azerbaïdjan et exercer une pression sur le régime Aliev exigeant la mise en œuvre inconditionnelle des obligations de toutes les organisations internationales concernant la préservation du cessez-le-feu régime sur la ligne de contact."

* Hrant Melik-Chahnazarian

"L’important pour Mme Clinton, c’est l'intérêt géopolitique des États-Unis, et sa visite a été structurée sur cette base," a déclaré le politologue Hrant Melik-Chahnazarian. Selon lui, la Turquie continue de rester un partenaire convenable pour les Etats-Unis, et le processus arméno-turc reste toujours aussi important.

Liés aux problèmes de l'Iran, Mme Clinton essaie de saisir à quoi s'attendre de la région avant les élections présidentielles aux États-Unis. En outre, la Turquie est toujours un partenaire idéal pour les États-Unis. Toutefois, Washington ne permettra pas à Ankara de devenir trop actif dans la région, et la Cause arménienne est un mécanisme approprié pour limiter ce dynamisme. "Les dirigeants de Washington veulent avoir une région prévisible," a souligné le politologue.

"Contrairement au Sommet de l'OTAN, cette fois Mme Clinton a souligné l'importance du principe du droit des peuples à l'autodétermination. Toutefois, les États-Unis doivent encore officiellement clarifier leur position," a-t-il indiqué

Parlant des prochaines élections présidentielles au Haut-Karabakh, l’expert a déclaré: "L'Azerbaïdjan fera à nouveau grand bruit dans les différentes structures internationales, mais ce sera inefficace, puisque la RHK va élire son président pour la cinquième fois."

"Une guerre contre l'Iran n'est pas désirée par les Etats-Unis. Washington ne possède pas actuellement de potentiel suffisant pour une guerre victorieuse. C’est la conclusion tirée suite à l’échec à proposer une solution définitive au problème en Irak et à obtenir des changements qualitatifs en Afghanistan. "

Concernant le problème iranien, l'expert note au passage que les États-Unis voient d’un bon œil  la militarisation de l’Azerbaïdjan. Ils perçoivent l'Azerbaïdjan comme un "second front" contre l'Iran, mais aussi dans un contexte de déstabilisation de Téhéran.

"Grâce à sa visite dans la région, la secrétaire d'Etat américain compte prendre le pouls des quatre pays visités sur la question," a-t-il conclu.

* D.Corboy, W.Courtney, K.Yalowitz

"Le Caucase, présente des risques de confrontation qui pourraient affecter les intérêts américains et européens, et qui exige une attention régulière et de haut niveau," écrivent D.Corboy, W.Courtney et K.Yalowitz(1) dans le New York Times dans un article  intitulé «Calmer le Caucase mouvementé.» Extraits :

"Le terrorisme et l'insurrection se répandent dans le Nord-Caucase (Russie). L'occupation militaire russe de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud, et des zones adjacentes de Géorgie renforce ce risque. La reprise des hostilités est de plus en plus probable au Haut-Karabakh entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.

Le retour de Vladimir Poutine à la présidence de la Russie ajoute de la complexité. Il cherche à accroître l'influence de la Russie sur les anciens voisins soviétiques, pour contrebalancer l'appel de l'OTAN et de l'Union européenne.

(…) Comment l’Amérique et l’Europe peuvent-ils atténuer les risques dans le Caucase?

Elles doivent continuer à soutenir l'indépendance de la Géorgie et lutter contre l'occupation d'un cinquième de son territoire.

Moscou ne doit pas être autorisé à exercer un contrôle sur l'exportation de l'énergie Caspienne à travers la Géorgie. L'Europe et l'Amérique doivent inciter la Géorgie à ne pas exciter les animosités antirusses au Nord-Caucase. Elles doivent coopérer avec la Russie pour prévenir des actes terroristes aux Jeux olympiques.

(…) Concernant la situation au Haut-Karabakh, l'Amérique et l'Europe ne peut plus laisser les discussions sur le Haut-Karabakh faire du sur place. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev fait face à des pressions internes pour agir, mais l'Europe et l'Amérique doivent le mettre en garde sur les conséquences néfastes s’il se lance dans une guerre plus étendue. Les investissements énergétiques en Azerbaïdjan et un important gazoduc en construction vers l'Europe (Nabucco) pourraient en pâtir sévèrement."

Le fragile cessez-le-feu est fréquemment violé. La Russie fournit de l’armement à l’Arménie et maintient une base militaire.

L'Azerbaïdjan utilise sa richesse pétrolière pour se surarmer, et son allié, la Turquie, maintient fermée sa frontière avec l'Arménie depuis 1994. Le conflit du Haut-Karabakh pourrait soudainement devenir non gelé."

L’article conclue qu’à la lumière des événements décrits, la visite de la Secrétaire d’ Etat Hillary Clinton au trois pays du Sud-Caucase cette semaine est d'actualité.

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Extrait de Armenialiberty, de Radiolour et de PanArmenian


(1) : Denis Corboy est maitre assistant au Kings College de Londres, a travaillé dans la Commission diplomatique en Arménie et en Géorgie. William Courtney a été ambassadeur des Etats-Unis au Kazakhstan et en Géorgie, puis conseiller du président pour les Affaires Russe Ukraine et Eurasie. Kenneth Yalowitz a été ambassadeur des Etats-Unis en Bélarusse et en Géorgie.