Haut-Karabakh : Un nouveau coup d’épée dans l’eau


Traductions et commentaires de Gérard Merdjanian


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Commentaires

Pour paraphraser un célèbre slogan publicitaire : "à quoi ça sert que les médiateurs y se décarcassent".  Après la rencontre des ministres des Affaires étrangères arménien et azerbaidjanais à Paris sous l’égide du Groupe de Minsk de l’OSCE, laquelle n’a rien donné, après la Nième déclaration des Présidents des pays coprésidents, le Calife de Bakou persiste et signe. Mais rien à voir avec la signature factice qu’il appose, sans se démonter, au bas des déclarations faites au sortir des réunions trilatérales russo-arméno-azerbaidjanaises.

Donc, le sieur Ilham Aliev, tout auréolé du fiasco de l’Eurovision de la Chanson et fier d’avoir violé une douzaine de fois de suite l’accord de cessez-le-feu sur le conflit du Karabakh lors des quatre jours de visite dans la région de la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, a ‘remis le couvert’ lundi dernier devant les cadets de l’école militaire, en martelant que : "Le Haut-Karabakh est une partie intégrante de l'Azerbaïdjan," et que "il n’est absolument pas question d’une quelconque indépendance" et que d’ailleurs "L'Arménie sera incapable de résister à l'Azerbaïdjan", etc, etc, ... . Bref la rhétorique guerrière habituelle.

“Naturam expellas furca, tamen usque recurret” disait déjà Horace 50 ans av-JC, ce que Philippe Néricault, dit Destouches, traduisit en 1732 par “chassez le naturel, il revient au galop”.

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Le 5 Juillet, le ministre des Affaires étrangères turc, Ahmet Davutoglu, viendra à Paris pour participer au Sommet des "pays amis de la Syrie". Pourquoi ce dégel subite ?

Le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, après avoir passé une demi-heure avec le président François Hollande en marge du Sommet de Rio+20, en est ressorti très satisfait. Il a donné ordre à son gouvernement de renouer les liens avec Paris, liens dégradés lors du vote en Janvier dernier par le Parlement de la loi pénalisant le déni des génocides reconnus par la France, et donc le génocide des Arméniens.

Il n’est pas nécessaire d’être grand devin pour deviner les propos tenus par François Hollande à son interlocuteur. Une chose est sûre : ce ne sont certainement pas ceux qu’il a prononcé devant la statue de Komidas, à Paris le 24 Avril dernier.

D’ici que les cinq chapitres clés des pourparlers d’adhésion, gelés par Nicolas Sarkozy, soient débloqués, il n’y a qu’un pas. Pas, que toute la Gauche, Verts compris, est prête à franchir. Souvenez-vous des députés et sénateurs qui ont signé le recours devant le Conseil Constitutionnel au motif fallacieux de l’atteinte à la liberté d’expression.



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Traductions

* Le président Sarkissian fait le point sur les disfonctionnements

Mardi, lors d'une conférence de presse commune avec le président autrichien Heinz Fischer en visite officielle en Arménie, le président Serge Sarkissian a fait le point sur divers sujets et notamment sur les programmes énergétiques qui sont (ou seront) mises en œuvre en œuvre dans la région, et qu'ils doivent stimuler et non perturber l'équilibre régional.

"En aucun cas les programmes énergétiques ne doivent devenir des sources de financement pour de nouvelles guerres dans notre région. Nous partageons un point identique que les blocus et les frontières fermées, qui sont absolument incompatibles avec l'esprit et la logique de l'Europe du 21e siècle," a souligné le leader arménien.

Il a de nouveau accusé l'Azerbaïdjan pour les récentes violations du cessez-le-feu dans la zone de conflit du Haut-Karabakh et sur l'absence de progrès dans les pourparlers de paix arméno-azerbaïdjanais.

"La politique adoptée par l'Azerbaïdjan durant ces derniers douze mois, ses déclarations belliqueuses et une confiance en soi sans fondement, sont à l'origine des tensions à la fois sur la ligne de contact avec le Haut-Karabakh et sur la frontière arméno-azerbaïdjanaise. Et ce n'était pas par hasard que comme résultat de ces provocations, de jeunes hommes ont été tués et que la situation a dégénéré dans les dernières semaines."

Serge Sarkissian a réaffirmé que le processus de paix est dans l'impasse parce que l'Azerbaïdjan n’accepte seulement qu’un des trois principes de base proposés par les médiateurs internationaux.

"Nous ne voyons aucune alternative aux négociations pacifiques dans le cadre du Groupe de Minsk de l'OSCE. La situation autour du Haut-Karabakh demeure un défi non seulement pour la région, mais aussi l'Europe. Tout en prétendant être d'accord sur ces trois principes, l'Azerbaïdjan, en réalité, n’accepte qu’un seul d'entre eux : le principe de l'intégrité territoriale des Etats. Il rejette celui du droit des peuples à l'autodétermination et celui du non-usage de la force. Aussi, lorsque ces deux principes seront vraiment acceptés, le conflit sera réellement en voie de résolution."

"Nous sommes prêts à aller de l'avant sur la base de ces principes, et plus tôt la question sera réglée, et mieux ce sera. La résolution rapide du problème va dans l’intérêt des peuples de l'Arménie et du Haut-Karabakh. Je pense que la communauté internationale a eu l'occasion de nous convaincre de cela."

Serge Sarkissian a rappelé la déclaration de Los Cabos, délivré par les présidents des pays coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE, où ils appellent les parties à maintenir le régime de cessez-le-feu soulignant que le conflit doit être réglé sur la base des principes de l'Acte final d’Helsinki, à savoir : la non-utilisation de la force ou la menace de la force, le droit des peuples à l'autodétermination et l'intégrité territoriale.

"Le problème du Karabakh ne peut pas être résolu par la force et la violence. Les tireurs d'élite doivent être retirés des zones frontalières. J’adhère entièrement au principe de la résolution pacifique du conflit, surtout quand des milliers de vies sont en jeu. Je souhaite que le conflit du Haut-Karabakh soit réglé dans le cadre du Groupe de Minsk de l'OSCE," a déclaré pour sa part le président Heinz Fischer. Et d’ajouter qu'il est conscient que les positions des dirigeants azerbaidjanais et turcs sont alignées sur le sujet, aussi, la visite de l'Arménie lui a donné l'occasion de se familiariser avec la position du pays.

Pour les dirigeants azerbaïdjanais les Arméniens du Karabakh ne peuvent exercer leur droit à l'autodétermination que dans le cadre de l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. "Le Haut-Karabakh est une partie intégrante de l'Azerbaïdjan," a déclaré lundi le président Ilham Aliev devant un parterre de militaires, tout en justifiant l’accumulation massive d’armements par son gouvernement, ce qui finira par permettre à l'Azerbaïdjan de regagner le Karabakh. "L'Arménie sera incapable de résister à l'Azerbaïdjan. Notre poids politique croissant, notre potentiel économique, notre puissance militaire, notre rôle dans la région et notre population croissante, conduiront à une résolution juste du problème."

* Interview du Représentant du Haut-Karabakh en France *

Monsieur Kévorkian, pouvez-vous nous présenter le Haut-Karabagh en quelques mots?

Le Haut-Karabagh est un Etat du Caucase méridional. C'est un territoire un peu plus grand que le Kosovo avec 11.000 km2 et peuplé comme deux fois Andorre avec 150.000 habitants. En 1991, les Karabaghiotes se sont séparés de l'URSS pour constituer une république indépendante. Celle-ci n'est cependant pas encore reconnue sur le plan international en dépit du fait que nous avons su bâtir des institutions d'Etat plus démocratiques et performantes que celles des pays alentours. Le Karabakh vit aujourd'hui d'agriculture et d'exploitation minière. Il s'ouvre également au tourisme culturel grâce à son antique patrimoine architectural chrétien mais des obstacles subsistent à son essor économique...

Que voulez-vous dire ?

Comme je vous l'ai dit, mon pays n'est pas encore reconnu et l'Azerbaïdjan voisin empêche la normalisation de la situation. Lorsque nous avons déclaré notre indépendance en 1991, cela a provoqué une réaction violente assortie de pogroms de la part de l'Azerbaïdjan sous la coupe duquel Staline nous avait placés en 1921 - juste après la soviétisation - afin de créer des frontières artificielles pour mieux asseoir son pouvoir. En 1991, La résurgence des massacres d'Arméniens et de Karabaghiotes par le pouvoir azerbaidjanais a conduit à une guerre de décolonisation que nous avons gagnée en 1994. Depuis, les négociations sont dans l'impasse et le cessez-le-feu sur le terrain devient instable.

Pourquoi ?

(Sourires...) Et bien...comme vous le savez - ça a été souligné à de nombreuses reprises lors du concours de l'Eurovision qui s'est tenu à Bakou - l'Azerbaïdjan est l'un des pires Etats qui soit en matière de démocratie et de respect des Droits de l'Homme. Divers rapports récents ont également pointé les détournements colossaux des pétrodollars azéris par la famille régnante et sa pratique de corruption de responsables politiques européens.

Lire la suite del’interview réalisée par Laurent Leylekian


* Brève de l’OSCE *

Le Secrétaire général de l'OSCE, le Gal Lamberto Zannier, s’est dit préoccupé quant au manque de volonté politique en Arménie et en Azerbaïdjan pour parvenir à un accord de règlement  du conflit du Haut-Karabakh.

"Il y a une préoccupation croissante, parce que la frustration semble être en augmentation. Il y a eu de très gros efforts politiques pour essayer vraiment de faire avancer les choses. Les parties ont été très près de s'entendre sur un ensemble de principes communs sur la base desquels ils pouvaient construire une solution ... Mais rien n’a bougé," a-t-il déclaré lundi à Vienne lors de l'édition 2012 de la conférence de l'OSCE sur les Journées de la sécurité.

Quant à l’augmentation du nombre de fusillades le long de la ligne de contact du Karabakh, ainsi qu’à la frontière arméno-azerbaidjanaise, le Gal Zannier a indiqué que c'était  "un signe inquiétant."

"C'est vraiment l'une de ces questions où vous vous demandez où cela pèche ? Si c'est sur le mécanisme de médiation de l'OSCE ou si les parties ne sont pas prêtes à prendre des mesures et des décisions qui impliquent certains compromis. Travailler avec l'opinion publique et les forces politiques dans les deux pays est un moyen de renforcer la capacité des dirigeants à prendre ces décisions difficiles," a-t-il souligné.

(…)

Le 28 Juin, conformément aux accords, les représentants de l'OSCE effectueront une surveillance à la frontière entre l'Azerbaïdjan et l’Arménie.

Les observateurs Hristo Hristov et Anthal Herdic se déplaceront côté arménien, tandis que William Pryor  et Jiri Aberle assureront la mission côté azéri.

* Brève de l’ONU *

Le Représentant permanent de l'Arménie à l'ONU, l'Ambassadeur Karen Nazarian a prononcé un discours lors des discussions qui se sont tenues au sein du Conseil sécurité de l'ONU sur les questions de protection de la population civile pendant les conflits. Le Secrétaire général, son adjoint aux questions humanitaires, le représentant du Comité international de la Croix-Rouge et les représentants de plus de 50 pays, membres de l'ONU, assistaient à la réunion.

S'exprimant sur le conflit du Karabakh, l'Ambassadeur arménien a souligné la responsabilité de l'Azerbaïdjan pour les crimes commis contre l'humanité dans la zone de conflit. Il a déclaré que les autorités azerbaïdjanaises sont responsables de la violation des droits de centaines de milliers de personnes déplacées et de réfugiés, des nettoyages ethniques et des agressions déclenchées en réponse à la mise en œuvre du principe du droit du peuple du Haut-Karabakh à l'autodétermination, mais également du massacre de la population azerbaïdjanaise de Khodjalou, imputé artificiellement aux Arméniens.

L’Ambassadeur a informé les membres du Conseil de sécurité que les villages arméniens de Artszvachen, Chahoumian (Nord de la RHK), Guétachen et 18 autres villages ont été purement et simplement rasés suite au conflit, et qu’une vingtaine de villages sont toujours occupées par l'Azerbaïdjan depuis vingt ans. Et a ajouté :

"L’Azerbaïdjan continue ses agressions contre les villages se trouvant en première ligne de la RHK et de l'Arménie, faisant fi des appels des coprésidents du groupe Minsk de l'OSCE et du Conseil de sécurité pour mettre en œuvre des mesures de confiance."

Aussi, dans ce contexte, l'ambassadeur a indiqué que l'Arménie se félicite de la déclaration des présidents des pays coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE faite à Los Cabos et il a exhorté la partie azerbaïdjanaise à cesser toutes les sortes de provocations sur la frontière avec l’Arménie et sur la ligne de contact avec le Haut-Karabakh.

* Brèves de Turquie *

La déclaration (en anglais) faite à l’issue du Sommet de l'Organisation de la Coopération économique de la mer Noire (CEMN) a finalement été signée à Istanbul le 26 Juin après que l'Azerbaïdjan ait été contraint de retirer tous ses amendements du document final.

Comme on le pensait, les dirigeants turcs ont réussi à persuader Bakou de retirer ses récriminations politiques [envers l’Arménie], pour éviter que la délégation arménienne ne refuse de signer un document portant préjudice à Erevan.

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En marge de la réunion du CEMN, le président Ilham Aliev et son homologue turc Abdullah Gül se sont rencontrés à Istanbul. Le conflit du Haut-Karabakh faisait partie de l'ordre du jour de l’échange.

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Un mois après que le projet Nabucco ait été officieusement remis en cause, la Turquie a mis en œuvre une mesure proactive pour lancer un projet de gazoduc avec son voisin et alliée oriental : l'Azerbaïdjan.

Ankara et Bakou discutaient depuis longtemps des détails d’un Gazoduc Trans-anatolienne (TANAP), alors que tous les yeux étaient braqués sur le projet Nabucco, un gazoduc conçu pour transporter le gaz de la Caspienne vers les marchés européens à travers la Turquie, et en contournant la route russe. La Russie mettant en avant ses propres projets North Stream et South Stream à travers la Mer Noire.

Depuis 2002 qu’il a été lancé, Nabucco a perdu de son attrait au fil des ans en raison de divers problèmes politiques et financiers. En pratique, Nabucco continuera sa vie sous le nom de Nabucco-Ouest mais au lieu de partir de Bakou, il partira de la frontière turco-bulgare. Les compagnies : State Oil Company of Azerbaïdjan République (SOCAR) à 80%, la compagnie d’Etat turque Petroleum Pipeline Corporation (BOTAŞ) à 10% et la société turque de pétrole (TPAO) à 10% sont les investisseurs dans TANAP, qui devrait être long de 2.400 km (de Bakou à la frontière bulgare en passant par Tbilissi et Erzeroum) avec un coût estimatif de 7 milliards de dollars.

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Extrait de Radiolour et de PanArmenian